FRANCIS FORD COPPOLA - LE PARRAIN (1972)

Les Anciens et les Modernes ...
« Le Parrain » premier du nom, c’est le film-jalon, le film-référence, celui autour duquel un genre (en gros le polar-film de gangsters) s’articule. Et … oh misère, qu’est-ce que vous voulez que je raconte sur ce film que vous ayez pas entendu ou lu des centaines de fois (notamment chez un certain Luc B., auteur ailleurs sur la Toile d’un article définitif sur ce film et sa suite …).
Coppola, Brandon & Pacino
Il y a eu un avant et un après « Parrain ». Mais surtout pour Coppola. Qui jouait son va-tout avec ce film. Jonglant avec un budget dont il n’avait pas l’habitude, lui qui se serait bien vu héritier américain de la Nouvelle Vague française, et qui végétait dans le « film d’auteur ». Jouant serré avec les financiers et les boss de la Paramount qui mettaient les dollars, et voulaient d’un réalisateur à leurs ordres. Edulcorant par son adaptation le bouquin de Mario Puzo, beaucoup plus trash et cul que le film, un bouquin qui au fur et à mesure que Coppola avançait dans la préparation et le tournage du film devenait un best-seller, ce qui accentuait la pression sur le réalisateur. Un Coppola composant avec un casting de bric et de broc, à savoir une superstar réputée ingérable (Brando), confrontée à un ramassis de troisièmes couteaux ou d’inconnus, voire même piochés dans le cercle familial (papa, maman, fifille, la petite sœur, …) parce que le budget explosait et que les personnages secondaires étaient légion … En fait, Coppola réunissait avec une persévérance louable tous les éléments susceptibles de ruiner  sa carrière. Bizarrement, il a avec cette fresque démesurée assuré sa fortune …
Parce que plus qu’un film, c’est d’une épopée, d’une saga, qu’il s’agit. Celle de la famille Corleone, dirigée d’une main de fer par un patriarche (Brando), une des familles qui comptent dans la mafia new-yorkaise. Qui dit mafia dit embrouilles et elles sont nombreuses, on a un peu de mal à s’y retrouver (et d’ailleurs quelques types au patronyme sentant bon la Calabre, la Sicile et les affaires douteuses qui vont avec ont été choqués de voir leur communauté présentée sous cet angle et se sont montrés « menaçants »), c’est au bout de plusieurs visionnages qu’on « s’approprie » tous les personnages. Qui nous sont tous présentés dans une séquence devenue mythique, les vingt sept minutes initiales de la noce. Tous les acteurs de la tragédie, certains n’intervenant que beaucoup plus tard dans le film y participent, dans cette alternance de scènes lumineuses et ensoleillées en extérieur, tandis que dans la pénombre de son bureau, le Parrain Corleone tire les ficelles (superbe lettrage "marionnete" de l'affiche du film au passage, très stylisée, mais tellement parlante …), dévide l’écheveau et tisse ses toiles dans un dédale de « petits services » et de gros délits. L’occasion déjà de s’apercevoir que le personnage de Vito Corleone va marquer les esprits des spectateurs et l’histoire du cinéma.
Caan, Brando, Pacino & Cazale
Qu’en serait-il de ce film sans Brando, that’s the question … Tant le Marlon livre une performance hallucinante de laquelle beaucoup de ceux qui deviendront les grandes stars des années suivantes s’inspireront. Performance typée Actor’s Studio certes, mais avec une patte tellement personnelle que Brando « est » Corleone. Et pourtant, les gros cigares de la Paramount n’en voulaient pas de lui, ils préféraient Laurence Olivier, prévu au départ. L’histoire du casting de Brando, avec le coton qu’il se met dans les joues, la voix cassée, le regard, les épaules voûtées comme s’il devait supporter toute la misère du monde fait partie de ces anecdotes qui n’en sont plus tant elles sont connues. Brando, assez « bizarre » tout de même allait effectuer en cette année 1972, un comeback fracassant, l’autre film sur lequel il sera tête d’affiche c’est rien de moins que « Le dernier tango à Paris », qui apprendra à toute une génération un usage alternatif du beurre … Deux films au succès que l’on pourrait qualifier d’accidentels, tant sur l’un comme sur l’autre, Brando a tout fait pour foutre le boxon sur le plateau de tournage et déstabiliser ses partenaires ... Il faut, même si ça dure trois heures comme le film, écouter sur le BluRay la version commentée par Coppola lui-même narrant au fur et à mesure des scènes les « trouvailles » de Brando pour déstabiliser ses partenaires, s’en donnant encore plus à cœur-joie quand il s’agit de simples figurants (à titre d’exemple, déjà qu’à l’instar d’Obélix il était naturellement un peu « enveloppé », Brando avait rajouté des barres de plomb sur son brancard quand on le ramenait de l’hôpital, juste pour voir la tronche que feraient les deux brancardiers, quand ils devraient le monter à l’étage …). Le refus de l’Oscar que Brando obtiendra pour son rôle dans « Le Parrain » ne fut dès lors qu’une surprise de pacotille, énième pirouette d’un type quand même assez mal en point dans sa tête …
Des lasagnes au petit déjeuner ?
La performance de Brando a tiré tout le casting du « Parrain » vers le haut. Pour beaucoup ce film est la première ligne glorieuse de leur CV (Pacino, Keaton, Duvall, Cazale, Caan), pour d’autres notamment l’ancienne gloire des roaring fifties Sterling Hayden dans le rôle du flic ripou qui finira buté par Pacino dans le restaurant, c’est un retour inespéré sous les feux de l’actualité …
Le succès et l’aura jamais démentie par le temps du « Parrain », apparaît, eu égard à ce qu’est devenu le cinéma « grand public » aujourd’hui comme une aberration. Le tournage n’a duré que soixante deux jours, essentiellement dans un studio new-yorkais, des scènes ont été mises en boîte sans que Coppola soit présent (c’est un de ses potes, un certain George Lucas qui était derrière la caméra), des plans « bizarres » ont été conservés faute de moyens (le plus « célèbre » étant celui devant l’hôtel de Las Vegas où l’on aperçoit fugitivement deux hippies très 70’s, alors que l’action est censée se situer à la fin des années 50). Coppola à maintes reprises a failli se voir débarqué du projet, ce qui ne l’a quand même pas empêché de glisser de temps en temps des hommages subliminaux. Le chanteur de charme, à l’origine de l’histoire dans l’histoire qui aboutira à la mémorable scène dite de « la tête de cheval », est directement inspiré, à tous niveaux, par Sinatra. De même, le guet-apens tendu à James Caan haché menu par les rafales de mitraillette renvoie à l’épilogue du « Bonnie & Clyde » d’Arthur Penn.
Comme toute saga qui se respecte, « Le Parrain » aura une suite … sans Brando, « remplacé » par De Niro. Une suite excellente, un peu moins que le premier volet, mais nettement meilleure que le dispensable épilogue du « Parrain III ».
Tiens, avec ces titres numérotés, cette série de films me fait penser à un groupe de rock de qualité (le crétin qui a hurlé « Chicago » est prié de dégager avant que je me fâche) de la même époque, connu sous le nom de code de Led Zeppelin. Dont le succès gigantesque avait commencé dans des conditions similaires : une major derrière, certes, un type qui joue gros (Jimmy Page dans le rôle de Coppola-Brando), et un premier disque enregistré en une trentaine heures (à peu près le temps nécessaire au pénible Stromae pour trouver une minable rime triste) …
O tempora o mores …


Du même sur ce blog :

BLACK LIPS - UNDERNEATH THE RAINBOW (2014)

De toutes les couleurs ...
« Underneath the rainbow » dure trente quatre minutes. Et quand le skeud est terminé, tout être normalement constitué doit se poser une question, un peu saugrenue mais inévitable : les Black Lips sont-ils là, aujourd’hui, en ce printemps ripou de 2014, le meilleur groupe du monde ?
J’en vois déjà qui manquent de s’étouffer, ‘tain le Lester depuis le temps qu’on l’avait pas vu, qu’on se demandait s’il avait péri en mer, avait été pris en otage par des muslims vendeurs de pavot, ou pire, nommé ministre par Manu militari Valls, voilà t-il pas qu’il nous assène des énormités à propos d’un groupe qui a même pas fait la une des Inrocks. D’autant que si on s’en va googleliser « Black Lips », on va trouver des montagnes de pages où plein de gens qui s’affichent musicalement incontestables vont vous raconter que ce « Underneath … » c’est quasi de la daube … Les écoutez pas ces pantins, c’est moi qui ai raison, comme d’habitude, quand bien même ma légendaire modestie dusse-t-elle en souffrir …
Les Black Lips 2014, comme une pochette des Byrds, on dirait ...
Parce que les Black Lips y’a des années que skeud après skeud, ils se sont forgé une crédibilité en plutonium enrichi dans le milieu du punk-garage-sixties-bidule (eux se qualifient de flower-punk, ce qui ne veut rien dire, mais fallait y penser…), le genre de réputation après laquelle courent des milliards de groupes. Objectif avoué de l’opération : ravir les quatre pantins rances serviteurs rigoristes de la chapelle et surtout à ce moment-là ne plus bouger d’un iota. Et arrivés à ce stade, qu’est-ce qu’ils ont fait les Black Lips ? Sont allés chercher Mark Ronson, producteur-DJ branchouille et variéteux (Lily Allen, Robbie Williams, Aguilera, …) et dans un grand éclat de rire sonore, ont consciencieusement « saboté » leur carrière (leur précédent et déjà excellent selon moi « Arabia Mountain »). Là, avec « Underneath the rainbow », ils font le contraire, vont chercher un type « crédible » (Carney des Black Keys) pour produire quelques morceaux, mais en contrepartie se lâchent encore plus tout au long des douze titres.
Qu’il n’y ait pas de malentendus. C’est sérieux, les Black Lips, on n’est pas chez les Ludwig Von 88 ou Sha Na Na. Mais les quatre d’Atlanta ne s’interdisent rien. Même pas de se payer Mick Rock himself pour la photo de pochette (qui au passage a de faux airs de celle de l’antique 33T éponyme du Band avec sa dominante sépia). Même pas de citer des choses très éloignées du garage sixties (« Justice after all » ou « Drive-by Buddy », c’est du classic rock comme Petty ou Springsteen ne savent plus en faire depuis des décennies), de faire des références appuyées aux crétineries punk californiennes des 90’s comme Green Day ou Offspring (« Smiling »), de rendre hommage aux Ramones (enfin, c’est ce qu’il me semble) avec « I don’t wanna go home », de rendre obsolète le disque de « reformation » des Pixies (parenthèse : mais qu’est-ce qui lui prend à ce gros patapouf de Frank Black, arriérés d’impôts ? notes en retard chez le traiteur ? et tout çà en virant Kim Deal, faut pas déconner, gros lard …) avec un morceau comme « Funny », savants entrelacs de mélodies pur sucre et de grosses guitares fuzz …

Et puis, manière de faire un doigt aux garagistes 60’s intégristes, ils jettent en milieu de disque une sorte de truc yé-yé bubblegum très pop (« Make you mine »), un peu plus loin revisitent à leur façon le riff du « Lucifer Sam » du Floyd de Barrett, ça s’appelle « Do the vibrate », et ils le font suivre d’une bouillasse psyché (« Dandelion dust »), peut-être une référence au énième degré aux Stones (« Dandelion » est la face B de « We love you » sortie au milieu de l’an de grâce 1967, quand les Cailloux s’essayaient – de façon assez risible – au psychédélisme).
« Underneath the rainbow » est une rondelle qu’on ne sait à quel degré il faut l’appréhender. Jetée en pâture sur ce qu’il reste du « marché du disque » et démerdez-vous avec. Les Black Lips semblent comme tous les idiots savants n’en faire qu’à leur tête. Sortent un disque a priori joli, consensuel mais qu’on peut aussi percevoir comme une vaste joke j’menfoutiste. Bande de zigotos totalement ingérables qui balancent une rondelle « grand public » sur le label indépendant (mais balèze, on y trouve aussi Bloc Party, les Streets, Justice et … Charlotte Gainsbarre) Vice Records, les Blacks Lips peuvent compter sur leur leader azimuté Cole Alexander (adepte entre autres « facéties » de terminer ses morceaux live futal sur les chevilles, signe d’extrême satisfaction chez lui) pour fracasser consciencieusement et méticuleusement tout plan de « carrière » …

Des mecs bien qui font de bons disques … Le meilleur groupe du monde de la Terre d’aujourd’hui ...

Des mêmes sur ce blog :