ALFRED HITCHCOCK - FENÊTRE SUR COUR (1954)

Profession Reporter ...
« Fenêtre sur cour » (« Rear window » en V.O.), c’est le genre de films dont on peut ne pas dire de mal. Pour au moins deux raisons liées, il est signé Hitchcock et a été tourné dans les années 50, la meilleure décennie artistique du gros réalisateur chauve.
On peut facilement en trouver d’autres. « Fenêtre sur cour » est aussi un exercice de style, un film qui se passe dans un lieu clos (ici un appartement donnant dans la cour intérieure d’un immeuble). Hitchcock avait déjà utilisé cette unité de lieu (en allant même encore plus loin dans « La corde », suite de plans-séquence dans une même pièce). « Fenêtre sur cour » repose aussi sur le principe de la caméra subjective, l’essentiel de l’histoire n’est vue que par les yeux d’un trio de protagonistes majeurs depuis un logement exigu. Le héros du film est James Stewart, pas exactement le premier comédien venu, et un des acteurs fétiches de Hitchcock au casting de nombre de ses chefs-d’œuvre (« La corde », « L’homme qui en savait trop », « Vertigo »).
Alfred Hitchcock, James Stewart, Grace Kelly
Ce qu’il y a de bien avec Hitchcock, c’est que ses films arrivent à intéresser voire à captiver alors qu’on sait parfaitement ce qu’on va y trouver à l’avance. En gros du suspense, de la caméra virtuose, un final angoissant, de l’humour à froid très britannique, … et des actrices blondes. Ici, la blonde c’est Grace Kelly, pour un de ses derniers films, avant qu’elle n’épouse le roitelet d’un promontoire rocheux des bords de la Méditerranée et mette bas d’une portée de princes et princesses bling bling à QI négatif… Dans « Fenêtre sur cour », elle crève l’écran par sa parfaite beauté classique, rehaussée par une panoplie vestimentaire ultra chic (due à la costumière Edith Head, sept Oscars pour les costumes de dizaines de films qu’elle a « habillés », et au générique de très nombreux Hitchcock, pointilleux à l’excès, et qui ne s’entourait pas de baltringues). Grace Kelly est Lisa Fremont,  mannequin vedette amoureuse du reporter-photographe casse-cou Jeff Jefferies (James Stewart). Ce dernier, qui a voulu filmer de trop près une course automobile a été victime d’un accident qui lui a laissé une jambe brisée. Il se retrouve dès lors en plein été caniculaire cloué sur un fauteuil roulant dans son petit appartement donnant sur la cour d’un immeuble de Manhattan. Par désœuvrement autant que par habitude professionnelle, il trompe son ennui en observant ses voisins et leurs allées et venues, entre les visites de son infirmière Stella (Thelma Ritter) et de sa fiancée. Le couple entretient une relation curieuse, lui se comportant en vieux garçon ronchon peu enclin à céder aux sirènes d’un mariage que souhaite ardemment Lisa.
Stewart & Kelly
Lentement, l’observation par Jefferies de son voisinage va évoluer du coup d’œil épisodique et amusé en une véritable obsession, qui lui fera sortir d’abord des jumelles, ensuite un téléobjectif. Il faut dire qu’il est persuadé qu’un de ses voisins a tué sa femme malade avant de se débarrasser de son corps. Dès lors, cette traque visuelle du présumé coupable et des indices qui pourraient le confondre va devenir une véritable obsession pour Jefferies. Et, tout aussi insidieusement, les deux femmes, d’abord rétives à son voyeurisme, vont devenir ses « assistantes » et échafauder avec lui tout un tas d’improbables théories criminelles.
Si l’histoire allait ainsi jusqu’à son dénouement, on serait face à un « petit » Hitchcock, d’une facture somme toute classique et assez faiblarde pour ce maître déjà incontesté du suspense. Mais Hitchcock est aussi (surtout ?) un pervers derrière sa caméra. A la moitié du film, le spectateur sait ce qui s’est passé dans l’appartement surveillé par le trio d’apprentis détectives, Hitchcock nous le montre pendant un assoupissement de Jefferies. Et là, par un jeu de miroirs, le film bascule, faisant à son tour du spectateur un voyeur. Hitchcock nous amène à ne plus nous intéresser au « coupable » (de toutes façons filmé de loin à travers ses fenêtres), mais à ses « surveillants ».
Malin et retors, Hitchcock nous force à scruter toute cette faune qui s’agite dans les appartements de l’immeuble (reconstitué en studio), à nous occuper de toutes ces histoires parallèles qui agitent cet écosystème. On est ainsi forcé de mater les exercices de danse en petite tenue d’une voisine, de supporter (parce que ça offre une digression qui laisse en suspens l’intrigue majeure) les affres de la création du pianiste de seconde zone, les querelles de voisinage, les torrides ébats suggérés (on est en 1954, ils tirent les stores) du couple de jeunes mariés. Comble de la perversité, Jefferies et les deux femmes se désintéressent cyniquement du seul drame dont ils ont la certitude (la vieille fille qu’ils surnomment Miss Lonely Heart, qui cherche désespérément l’âme sœur et qui après de multiples échecs sentimentaux va gober une boîte de somnifères dont ils connaissent même le nom grâce au téléobjectif).

« Fenêtre sur cour » n’est pas le film d’Hitchcock au final le plus haletant, personnellement je trouve ce final assez peu crédible, et plutôt faiblard. La construction de l’intrigue (inspiré de deux faits divers contemporains célèbres) est assez linéaire malgré quelques intermèdes humoristiques et le Maître se montre assez avare de ses savants mouvements géniaux de caméra habituels, se concentrant la plupart du temps sur des gros plans de ses acteurs, usant voire abusant du champ contre-champ. Ce qui oblige le trio des protagonistes principaux à faire passer l’essentiel des émotions et des sentiments par les expressions de visage. Et ce qui permet encore une fois de se rendre compte de la qualité exceptionnelle du jeu de James Stewart qui nous fait voir tous ses états d’âme lorsque Lisa décide de s’introduire dans l’appartement du voisin suspect, qui, évidemment, revient plus tôt que prévu … Le rôle du voisin, énième malice d’Hitchcock, est tenu par Raymond Burr (qui atteindra la renommée quand c’est lui qui se retrouvera en fauteuil roulant dans l’interminable série télévisée « L’homme de fer »). Lequel Burr n’aurait été choisi  pour jouer le « méchant » que pour  sa ressemblance physique avec le producteur David O. Selznick avec lequel Hitchcock s’était embrouillé auparavant …
« Fenêtre sur cour » est régulièrement positionné vers le haut de toutes les listes des meilleurs films de tous-les-temps-du-siècle-ever. C’est indubitablement un grand, un excellent film de Hitchcock qui n’a pas exactement tourné que des navets, si vous voyez ce que je veux dire. Perso, je le mets un cran en dessous de mes deux préférés, « Les Enchaînés » (la matrice de tous ses films à suivre) et « La mort aux trousses » son grand film « à spectacle »). Le fait qu’il y ait dans le premier Ingrid Bergman et dans les deux cet autre fantastique acteur qu’était Cary Grant doit y être pour quelque chose …

Ah, et puis, comme d’hab, Hitchcock apparaît fugacement dans le film. Il remonte une pendule lors d’une soirée chez le pianiste …


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3 commentaires:

  1. Génial.
    (je sais, je fais plus concis que quand j'aime pas.)

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  2. Peut être pas le meilleur Hitchcock ( Vertigo ?) mais assurément le plus sensuel. Et ces couleurs !
    Partiellement remis au goût du jour par Brian DePalma avec Body double, qui finalement aura plus vieilli que celui ci.
    J'en profite pour rappeler à tous le monde, à quel point il faut lire le fameux Hitchcock/Truffaut.
    Hugo

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  3. Raymond Burr / Selznick ??? J'ignorais, mais maintenant que tu le dis, y'a de ça !

    Je souscris à presque tout. Pourtant, plus je le vois, plus je le trouve, disons... désuet. C'est un peu exercice de style, comme "La corde" (qu'il faut d'ailleurs réévaluer au delà de la prouesse technique). La mise en scène est cérébrale à souhait, les acteurs épatant, Grace Kelly est une des rares actrices que j'avais en photo au mur même passé 20 ans (avec Gene Tierney et Ava Gardner...) les sous entendus sexuels se bousculent (le télé objectif...) et James Stewart est... James Stewart.

    Mais voilà, je trouve le film psychologiquement vieillot. L'histoire entre Stewart et Kelly n'est pas passionnante, et le copain flic assez insipide. Par contre, plus je vois les "Oiseaux" plus je le trouve quasi parfait. Plus ambigu.

    Sur le podium, "Le mort aux trousses" of course, et le plus beau, le plus profond, le plus sensuel, le plus pervers "Vertigo". Et "Les enchainés" qui est une merveille, et auquel je suis particulièrement attaché, un des premiers (le premier ?) découvert ado au cinéma, un des films qui m'a fait aimer le cinéma, et pour ça, je dis : merci Alfred !

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