SAM PECKINPAH - LES CHIENS DE PAILLE (1971)

« Ils m'ont donné la rage au cœur ...
… Ces chiens de paille ». Ainsi hurlait notre Johnny national, dans une chanson inspirée par le film de Peckinpah. La rage, hum … Par où ou par qui commencer ?
Peckinpah est bien sûr en première ligne pour ce « Straw Dogs » (titre original). Peckinpah est un type pas très net, un misanthrope aux méthodes de tournage contestées et apparemment contestables, qui s’est fait un sacré nom avec « La Horde sauvage », ses gunfights au ralenti et ses gerbes de sang. Peckinpah devient (même s’il n’avait vraiment jamais donné dans la comédie romantique) le metteur en images de la violence, crue, frontale, primaire, voire sadique. Et comme Peckinpah est un perfectionniste et un grand réalisateur, il va dès que l’occasion se présentera chercher à faire « mieux » que « La Horde sauvage ». Il abandonne le projet « Délivrance » (qui sera repris et mené à terme par Boorman), pour se lancer dans l’adaptation  d’un roman anglais (« The siege of Trencher’s farm »). Adaptation comme souvent assez libre, seuls quelques éléments du bouquin sont retenus pour le scénario.
Dustin Hoffman & Sam Peckinpah
Nouveauté, Peckinpah lassé de procès d’intention, de procès tout court, de censure aux USA, décide de s’expatrier et de tourner le film en Angleterre. Difficultés pour monter le casting, finalement Dustin Hoffman sera la tête d’affiche. Et commence par s’opposer au choix d’une jeune actrice anglaise peu connue, Susan George, dont les seuls faits d’armes résident dans des seconds rôles de bimbo court-vêtue. L’atmosphère pendant le tournage sera détestable. Hoffman affiche souvent une attitude méprisante vis-à-vis de sa partenaire. Cerise sur le gâteau, Peckinpah tombe malade, souffrant d’une grosse pneumonie, refuse d’ajourner ou d’abandonner le tournage, et se soigne en buvant comme un trou. Déjà qu’à jeun il n’avait pas la réputation d’un type facile, alors là, bourré en permanence, il martyrise littéralement toute son équipe.
« Les chiens de paille », c’est l’histoire d’un engrenage qui conduit à un final hyper-violent. Toute une galerie de personnages sordides au cœur d’un village contemporain, perdu dans une campagne anglaise qui n’a rien de glamour. Peckinpah jongle avec la noirceur ou l’ambiguïté des personnages. Tant du point de vue de « l’action » que de la psychologie des protagonistes, le film n’est pas crédible. Mais Peckinpah doit s’en foutre un peu (beaucoup ?) de cette crédibilité. Et c’est ce qui est ennuyeux finalement, qui fait des « Chiens de paille » un film dérangeant.
Susan George & Dustin Hoffman
Cette obsession pour l’humiliation, pour montrer que chacun renferme sa part noire qui finalement prend le dessus, finit par être gênante. Beaucoup plus que la violence qu’elle finit par générer. Et au final, le film est plus dérangeant que choquant. Dans cette longue surenchère de pacotille, biaisée dès le départ parce que seul un carnage total peut servir la vision qu’a Peckinpah de l’histoire et des personnages.
« Les chiens de paille » ne vaut que par son esthétique. Et de côté-là il est parfait. Dès la toute première scène, on a droit à un gros plan sur les seins de Susan George qui pointent sous un pull hyper moulant. Manière de capter l’attention du spectateur (spectateur, car j’ai pas du tout l’impression que ce film puisse s’adresser de quelque façon que ce soit à un public féminin), de jouer sur la fibre du machisme et du voyeurisme. D’ailleurs l’autre seul rôle féminin notable est tenu par une gamine délurée, sexy et provocante dont l’attitude stupide va enclencher la mécanique qui conduira au cataclysme final. On a l’impression que Peckinpah déteste ses personnages, que sa caméra n’est là que pour les rendre encore plus vils. Susan George ? Allumeuse, qui se laisse serrer de près par un ancien flirt, exhibe sa petite culotte ou ses seins aux ouvriers embauchés par son mari. Dès lors le viol qui suivra ne peut entraîner pitié ou commisération quelconque. Un personnage « sacrifié » par Peckinpah. Dustin Hoffman qui joue son mari ? Vil, égoïste, trouillard, simplet perdu dans son génie mathématique, incapable d’envisager, d’anticiper et de gérer le pourrissement de la situation. Et ce type qui devient une sorte de Rambo non pas pour préserver un blessé ou protéger sa femme, mais parce qu’on est train de vandaliser « sa » maison (en plus, c’est pas la sienne, c’est celle de ses beaux-parents, mais il l’accapare, c’est lui « l’homme », c’est le possédant). Héros totalement antipathique. Les autochtones ? Galerie d’ivrognes, brutes incultes épaisses et à peu près consanguines, débiles légers, homme d’église puéril, représentant de l’autorité dépassé (c’est d’ailleurs le premier à y laisser la peau, flingué à bout portant au fusil de chasse). On cherche en vain dans ce casting le personnage « attendrissant ».
Ce qui conduit à affirmer que pour Peckinpah, le film en soi n’a pas grande importance, si ce n’est qu’il lui sert à mettre en scène la violence. Et de ce côté-là, c’est un maître. Il installe très vite un climat de tension, une atmosphère oppressante qui ne se relâche jamais et va crescendo. Peckinpah, c’est le type qui filme en couleurs les recoins les plus sombres et sordides de l’âme humaine. Sans pitié, en forçant le spectateur à regarder, à devenir voyeur. Pas d’esquive possible, les atrocités se passent pas hors-champ, c’est plein cadre. La scène du viol est dans le tiercé de tête des plus dérangeantes mises à l’écran (avec celle d’ « Irréversible » et celle de « Orange mécanique », cette dernière par un curieux hasard sortie la même année). Et ce n’est pas le nombre de morts qui est le plus choquant (une demi-douzaine, moins que dans la séquence inaugurale d’un quelconque Rambo), c’est la sauvagerie qui accompagne la plupart de ces morts.

« Les chiens de paille » a fait débat. Et suscité un procès moral envers Peckinpah. Principaux griefs de l’accusation : fascisme-totalitarisme et glorification de l’autodéfense. Des termes encore relayés de nos jours. Bon, je veux bien qu’au début des années 70, ça ait traumatisé les bien-pensants de tout bord (leur était-il seulement venu à l’idée que la seule « idéologie » présente était celle de la violence ?), mais aujourd’hui, les limites posées par Peckinpah ont été franchies et explosées par des films gore sado-maso (les « Hostel », Saw », …), sans parler des snuff movies qui fleurissent dans les recoins sombres du web … Voir du fascisme dans « Les chiens … » est une illusion d’optique, une commodité intellectuelle. L’apologie de l’autodéfense ne tient pas davantage, le défense de la maison assiégée n’est qu’un prétexte scénaristique, Hoffman est juste un lâche aux abois, il réagit comme tel, pour sauver uniquement sa peau et pas sa bicoque envahie, une fois qu’il s’est rendu compte que son bon sens diplomatique d’intellectuel n’est d’aucun effet sur ses assaillants avinés …  C’est à mon sens dans le personnage de Dustin Hoffman qu’est la clé du film, montrer comment un intellectuel, chercheur en mathématiques, peut retomber dans des pulsions barbares. La façon dont il traite de haut sa femme rajoute un drame psychologique supplémentaire à l’intrigue (d’après les témoignages des personnes présentes sur le tournage, guère différentes de celle dont Peckinpah traitait Susan George).
L’occasion de dire que c’est elle, la débutante dans un premier rôle, prise en grippe par le réalisateur et l’acteur principal, qui signe la meilleure performance du film, tout à fait naturelle et « juste » dans un tas de scènes pourtant très difficiles. En comparaison, Hoffman n’est guère crédible (enfin, plutôt la crédibilité de son personnage, ce qui a tendance à montrer les limites d’un jeu très typé Actor’s Studio).
Hasard des sorties en salle, en cette année 1971, arrivèrent sur les écrans trois films perçus comme des sommets de violence, ce Peckinpah, « Orange mécanique » et « Délivrance », suscitant vagues d’indignation, tollés des « bien-pensants », batailles d’Hernani des critiques. Aujourd’hui, ces trois films (pourtant très différents) sont à juste titre considérés comme des classiques, toutes époques confondues …

  

9 commentaires:

  1. Un des rares Peckinpah que je n'ai pas vu, dommage, je ne pourrais pas en parler ! Y'a quasi rien à jeter chez lui, certes du plus commun (Le convoi...) mais "Major Dundee" est une merveille, "Apportez-moi la tête" ça se pose là, "la Horde" se passe de commentaire, "Guet apens" sans doute un ton en dessous (?) "Pat Garrett" est somptueux, "Osterman Week end" bon, ben, c'est un film d'espionnage quoi... il est plutôt réussi, et de très bon passages dans "les Croix de fer" (que j'ai toujours tendance à confondre ou mélanger avec un Samuel Fuller !!).

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    1. Surprenant que tu le connaisses pas, je crois que c'est son plus gros succès en terme de spectateurs ...
      De ceux que j'ai vus, les chiens de paille n'est pas mon préféré, ce serait plutôt Alfredo Garcia, totalement barge (La horde sauvage est hors-concours)...

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    2. Samuel Fuller a failli le tourner...

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    4. "Croix de fer" bien entendu...

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  2. Vu une fois en DVD. Pas un grand souvenir mais j'ai bien aimé le coup du piège à loup si ma mémoire est bonne.
    "La Horde" est celui que je préfère avec Pat Garrett grâce à la présence et la zique de Dylan ( Coburn est hors concours...).

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    1. Oui, y'a un truc avec un piège à loups ... enfin, un piège à mammouths plutôt, vu la taille du piège ...

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  3. Je suis revenu lire ton article, avant d'écrire le mien !! Histoire de pas faire doublon...

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