QUENTIN TARANTINO - INGLOURIOUS BASTERDS (2009)

Drôle de drame ...
Un des films les plus controversés, sinon le film le plus controversé de Tarantino…et un de ses meilleurs.
Le bon peuple cinéphile et érudit (les ceusses qui regardent le film du dimanche soir sur TF1 et Questions pour un champion) s’est offusqué devant pareille chose. Pour qui se prenait-il ce jeune gommeux américain de Tarantino, à bafouer l’Histoire majuscule, celle qui est dans les livres ? A nous montrer tonton Adolph criblé de balles en 44 dans un cinéma en feu parisien ? Et criblé de balles par, en plus, un commando de juifs américains plus sauvage que les hordes d’Attila et de Gengis Khan réunies, ayant auparavant dézingué et scalpé du soldat nazi à profusion dans des geysers d’hémoglobine ? 
Eli Roth & Brad Pitt
Bon, les constipés, ce que vous avez vu c’est un film. Pas les archives de l’INA des émissions d’André Castelot. Ça vous est pas venu à l’esprit que le cinéma c’était fait pour raconter des histoires, faire rêver, passer du bon temps ? Et que ça n’a pas à être vrai, véridique ou vraisemblable. Vous avez été troublés de voir les flots de la Mer Rouge s’ouvrir devant Moïse dans « Les Dix Commandements », et ensuite se refermer pour engloutir l’armée égyptienne ? Vous croyez que tout dans « Spartacus », « Ben Hur », ou le « Napoléon » d’Abel Gance est rigoureusement exact ? Et vous croyez que dans les années 40 en France, c’était comme dans « La grande vadrouille » ou « On a retrouvé la septième compagnie » ?
En plus, j’ai l’impression que vous tombez mal avec Tarantino. Parce qu’il a bossé comme un forcené sur son scénario, et qu’il prouve dans les bonus du BluRay que l’histoire – la vraie – de la Seconde Guerre Mondiale, il la connaît aussi, beaucoup plus que ce que vous croyez …
« Inglourious basterds », c’est une comédie. Noire, sordide, macabre, de mauvais goût, si vous voulez. Mais une fuckin’ géniale comédie, pleine de clin d’œils, d’allusions, … et de non-dits, même si ça jacasse encore plus vite que les rafales de mitraillette. Un film de fan (plus encore que tous ceux de la Nouvelle Vague, Tarantino est avant d’être un réalisateur un dingue de cinéma). Et puis, quand les répliques deviennent plus posées, on a de grands moments de cinéma. Avec trois scènes de bien vingt minutes, celle de la ferme qui débute le film, celle du restaurant, et celle de la taverne (et encore ces deux dernières ont été raccourcies au montage). Des sommets de suspense, avec une tension qui n’achève jamais de monter. On sent que ça va mal finir, c’est inéluctable, et dans la ferme ça finit effectivement très mal. On s’attend donc au pire au restaurant, et … surprise, ça se « passe » bien. Du coup, dans la taverne, on ne sait plus à quoi s’attendre, et là, on va en avoir pour notre argent … Clouzot ou Hitchcock, et encore plus Leone (tant les références à son cinéma sont nombreuses, de la lenteur des scènes-clés à la musique de Morricone, très présente dans la B.O.) auraient approuvé, Fincher devra se surpasser …
Christoph Waltz
« Inglourious basterds », au moins autant qu’un film d’action sur la guerre (le premier du genre de Tarantino) est un film sur le cinéma. Et là bizarrement, on a pas lu trop de grincheux surenchérir sur l’exposé du cinéma d’époque, surtout allemand, les liens que certains acteurs ou réalisateurs ont eu (ou pas) avec le régime nazi, le cinéma de propagande de l’époque. Le film c’est pas toujours de l’uchronie, là c’est la leçon du fan et du connaisseur. Et je suis prêt à parier que l’œuvre de Leni Riefenstahl n’a pas de secrets pour Tarantino. Le film dans le film (« La fierté de la Nation ») est un petit bijou (réalisé non par Tarantino, mais par Eli Roth, celui qui joue dans le film Donowitz, le « bâtard » à la batte de base-ball). Coupé aux deux-tiers au montage, il pastiche les films de Goebbels, ceux de la propagande stalinienne, et même avec un landau sur une place mitraillée le « Cuirassé Potemkine ») Et comme le film est un fake, on a droit dans les bonus à un génial fake de making-off. Clairement, « Inglourious basterds » est un film sur le cinéma. Une bonne part de l’histoire se passe dans un cinéma et y trouve en partie son épilogue. L’agent double allemand (un des meilleurs rôles de Diane Kruger) est une actrice allemande, le commando des Bâtards s’infiltre dans le cinéma en se faisant passer pour équipe technique et un réalisateur italien, …
Diane Kruger & Michael Fassbender
Et là, dans cette Tour de Babel des nationalités présentes à l’écran, réside une autre trouvaille assez formidable de Tarantino. On passe sans arrêt d’une langue à l’autre, et évidemment, les polyglottes finissent par paraître tenir les atouts maîtres de l’action. Et le personnage central du film, à peu près le seul lien entre des histoires dans l’histoire menées en parallèle, est le formidable acteur allemand Christoph Waltz. Qui incarne le colonel nazi Landa surnommé le « chasseur de Juifs », raffiné, sadique, machiavélique et cruel, qui jongle entre allemand, anglais, français et italien, tout en assurant un jeu plein d’acteur, tout en regards, poses, mimiques, et gestes d’une justesse absolue. Quasiment inconnu, c’est lui l’acteur de premier plan du film. Il éclipse à mon avis un Brad Pitt pourtant concerné et intéressant en leader du commando juif. C’est pourtant Pitt qui est en avant sur toute la promo du film (les affiches notamment), à la tête d’un casting international très fourni en second rôles. Et ce sont ces seconds rôles qui font toute la richesse du film, sans obscurcir l’intrigue. Dans les bonus, Pitt et Tarantino (interview plus souvent en roue libre que réellement intéressante) ne tarissent pas d’éloges sur un autre quasi inconnu qui ne va pas le rester (Michael Fassbender, dans le rôle d’un officier anglais qui rejoint les Bâtards). Mais on trouve également dans la distribution Myke Miers, pote de déjante de Tarantino, et toujours au rayon hommage (hommage et vengeance sont les deux moteurs du cinéma tarantinien), la participation de Bo Svenson et Enzo Castellari, respectivement acteur principal et réalisateur d’un nanar italien de série Z (y’a Michel Constantin qui y joue, c’est dire …) dont s’est inspiré Tarantino (en fait d’une seule scène) pour le scénario de « Inglourious … ». Anecdote : Castellari a fait cadeau de ses droits à Tarantino à la condition d’avoir une réplique dans le film, c’est lui l’officier nazi au premier rang du cinéma qui crie « Au feu ! » quand l’écran s’embrase …
En fait, la seule dans ce casting qui me semble un peu en dedans, c’est Mélanie Laurent (Soshana, jeune juive dont la famille a été massacrée par Landa et ses hommes). Même si elle incarne la vengeance implacable, quasi rituelle (la scène  du maquillage en forme de peinture de guerre indienne, avec en fond sonore le « Cat people (Putting out fire) » de Bowie et Moroder), on a l’impression qu’elle ne « s’amuse » pas sur ce film, alors que tous les autres semblent s’en donner à cœur-joie …
Mélanie Laurent
« Inglourious basterds » est un film qui fourmille de détails qui eux-mêmes peuvent renvoyer à d’autres thématiques. L’une d’entre elles, qui revient comme un fil rouge subliminal a trait aux Indiens d’Amérique  (Raine – Brad Pitt a un peu de sang indien, le rituel du scalp des Bâtards, le maquillage de Mélanie Laurent, une carte à deviner dans une scène coupée de la taverne porte le nom d’un chef Indien). D’autres détails des personnages restent sans réponse : pourquoi la cicatrice autour du cou de Raine ? Pourquoi à tout prix identifier par des flèches et des incrustations à l’écran les hauts dignitaires nazis dans le cinéma alors qu’à ce moment on est en totale fiction historique?
« Inglourious basterds » (l’orthographe bizarre du titre vient de l’accent en V.O. de Pitt, mais aussi pour éviter la confusion avec le film italien de Castellari, sorti aux States sous le nom de « Inglorious bastards ») fait pour moi partie du quarté majeur de Tarantino avec « Reservoir dogs », « Pulp fiction » et le Volume I de « Kill Bill ».
Un film à visionner obligatoirement en V.O. sous-titrée pour prendre la mesure de tout le jeu de langage des acteurs. Il existe un coffret métal à prix dérisoire contenant le film en BluRay et en Dvd, ainsi que le Dvd du film italien de Castellari. Qualité du BluRay excellente, mais bonus de l’ensemble un peu chiches …


Du même sur ce blog :
Kill Bill Vol. 2




9 commentaires:

  1. J'ai peur qu'il ait atteint son sommet avec celui là! J’espère, je souhaite me tromper, mais effectivement Tarantino a effectué un boulot de dingue quant aux références, au choix des acteurs, à la musique...
    Pas le temps de m'étendre ce matin mais j'y reviendrai ( I'll be back...).

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  2. "Ça vous est pas venu à l’esprit que le cinéma c’était fait pour raconter des histoires, faire rêver, passer du bon temps ?"

    Et occasionnellement abrutir et faire passer des messages pas toujours blanc-bleu (je parle en général, là), surtout venant des Ricains... Et puis, ça fait rêver de jouer au baseball avec une tête d'allemand en guise de balle ?

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  3. Par contre c'est vrai qu'il a de bonnes B.O. Il aurait du faire DJ. Mais c'est un DJ finalement, il ne fait que sampler... :)

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    1. C'est tout ça fait ça même dans son cinéma. Tarentino, c'est le DJ Shadow du cinoche.

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  4. Pas le temps de m'étendre non plus, comme Juan, mais là on touche au grandiose. Dans une chronique, j'avais titré : "les contes, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît". Je suis d'ailleurs toujours médusé par le flot d'injures proférées à l'encontre du film, et du cinéaste. Qu'on apprécie le film en soi, qu'on dénigre sa longueur, sa violence, soit, mais qu'on crache à la gueule de QT parce qu'il ose jouer avec l'Histoire, alors que c'est justement le propre de la fiction, du romanesque, du conte. D'ailleurs il s'en joue encore dans son dernier "Jango", et re-polémique, qui possède lui encore quelques fulgurances !

    Oui, je crois qu'à ce jour c'est son meilleur film, qui regroupe ce qu'il avait travaillé avant : les scènes d'actions 100% bio sans numériques, de l'humour, noir si possible, les joutes verbales, les références ciné, la construction du récit... Tout ce qui fait son style est là, et mieux que dans aucun autre film. Je mettrais "Kill Bill volume 1", pas loin derrière, et "Jackie Brown". Disons que ce sont des films plus "matures". Mais je ne dédaigne pas les pochades, notamment "Boulevard de la mort" a réhabiliter, c'est excellent sur le plan de la mise en scène pure, le fond est plus succinct. Et of course, les premiers, "Réservoir" et "Pulp Fiction" deux tubes à essais qui pourtant passent pour des oeuvres accomplies ! Ben en fait... on a fait le tour !

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  5. Le film du retour en forme de Tarentino, faut dire que je l'avais complètement laché avec Kill Bill qui m'avait profondément emmerdé, et Boulevard de la Mort était à peine mieux. La scène d'ouverture est fantastique, une des meilleures que Tarentino ait jamais réalisé. Faut dire aussi qu'il a un atout majeur en la personne de Christophe Waltz, tout bonnement exceptionnel. C'est lui qui porte le film, faut pas se le cacher, chaque scène où il apparait est un délice. La scène de la taverne aussi est un grand moment. Après, il y a quand même des longueurs, et on pourrait tranquillement sarcler une bonne demi-heure, d'autant que toute l'histoire annexe avec Mélanie Laurent et le jeune soldat Allemand est très superfétatoire (et puis Laurent, elle est transparente quand même). Brad Pitt prend un accent redneck délectable, mais je trouve que ces Bastards manquent quand même un peu de charisme, on s'en fout un peu en fait, le vrai héros du film, c'est le méchant Waltz. Ah, quand même Diane Kruger n'aura jamais été aussi bonne. La fin avec Hitler et les nazis qui se font cramer dans le cinéma, ouais, pas mal, mais y a pas de quoi pousser des hauts cris non plus. Bref, un Tarentino qui m'a fait plaisir alors que je le croyais définitivement perdu pour la cause, mais il est quand même loin de Jackie Brown, qui restera son plus grand film probablement, un petit bijou à tout niveau. Le côté über référencé sur les séries B, ça me passe au-dessus de la tête, et c'est justement ce qui faisait que Kill Bill et à moindre mesure Boulevard de la Mort m'avaient gonflé (y compris jusque dans la démarche, fétichiste à l'outrance). Mais là le goût de la narration reprend ses droits par dessus la geekerie revendiqué. Avec Django Unchained, Tarentino fait encore mieux, et signe pas loin de son troisème meilleur film (derrière Jackie et Pulp), avec à nouveau un Christophe Waltz énorme, et un Leonardo Di Caprio excellent en ignoble négrier. Son film le plus sérieux et le plus jouissif depuis Pulp, sans les petites longueurs de Inglorious Bastards.
    Et comme le dit Red, toujours de fabuleuse BO, dont la meilleure restera sans doute, une fois de plus, Jackie Brown.

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  6. Bon alors Inglourius...
    Ben oui c'est son top, un hommage à sa passion, son berceau: le cinoche. Depuis minot Tarantino y trempe dedans, et avec ce film il se fait sa propre analyse. Comment un mec qui projetait des films X à 15 ans pour se faire 3 ronds se voit maintenant allouer une fortune pour pondre une baudruche comme Django?...
    La combinaison est simple: vouloir vivre de sa passion, de ses influences et avoir pas mal de talent!
    Enfin de quoi parle Inglourious basterds? Du pouvoir et même de la puissance du cinéma, que ce soit par les dialogues (essentiellement pour Quentin) ou par le matériaux lui même ( la pelloche en nitrate hyper inflammable) jusqu'à la salle elle même gigantesque crematorium. Tarantino ne peut renier ses racines, même si il s'est très largement cultivé adulte et est loin d'être con. Jusqu’à ce film, il n'a fait que régurgiter ce dont il s'est gavé,du kung Fu, du western, de la blaxploitation ou du polar à la Française. Donc grâce à son talent de scénariste, de monteur, de réalisateur combinés à ses gouts musicaux, Tarantino nous a balancé un miroir de sa culture, de notre culture. Un mitraillage de clin d’œils!
    C'est ça Tarantino, des clin d’œils en cinemascope, et là je parle pour moi, pour avoir vu La Fureur du Dragon ( Bruce Lee pour ceux qui suivent) dans un cinoche de Dakar dans les années 70, dans toutes les petites salles du monde ce genre de films bis est vécu par les spectateurs quasi au sens propre avec les mecs debout sur les fauteuils encourageant le héros. Des films à la con mais qui cartonnent parce que le mec se venge de tous les enfoirés, il leur en met plein la tronche et avec style.
    Donc dans Inglourius le réalisateur règle ses comptes, et inconsciemment (ou pas), c'est par le cinoche qu'il déboite ici les nazis, les pires empaffés de l'histoire plus ou moins récente. C'est n'importe quoi, mais c'est génial de laisser disserter les protagonistes, donnant l'effet inverse de l'époque où l'action prenait 90% du métrage. Et le résultat est le même!
    Et au fait, Mélanie Laurent pas si mal, manquerait plus qu'il nous ait collé Marion Cotillard...

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    1. Je sais qu'il est de bon ton de débiner Cotillard depuis qu'elle est devenue une star Américaine, moi-même je n'ai jamais été très fan (Piaf avec trois tonnes de maquillage sur la gueule, bof), mais faut reconnaître qu'elle était très bien chez Mann, Woody Allen et Jacques Audiard par exemple. Ce qu'elle fait dans De Rouille et d'Os, c'est pas rien quand même. Mélanie Laurent, elle a fait quoi déjà ? Son meilleur rôle c'était encore celui de la petite starlette capricieuse qui gueule contre les critiques qui osent dire du mal de son album... Là elle était très crédible...

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    2. MAAAAAAAAAAAAAAAAAARCEEEEEEEEEEEEEEL !!!!!
      :)

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