BRUCE SPRINGSTEEN - LIVE / 1975-85 (1986)


Un bon chanteur et un mauvais groupe ...

De quelque côté qu’on l’envisage, ce live est un pavé. Et un pavé, que tu le prennes sur les pieds ou en pleine poire, ça fait mal …
Par où commencer ? Des chiffres ? 40 titres, 3 heures et demie … aujourd’hui trois Cds bien pleins. Lors de sa parution fin 86, cinq vinyles. Personne n’avait été aussi loin dans la démesure, les funestes live de Santana, Yes et Wings s’étaient arrêtés à trois rondelles de plastique noir, ce qui faisait déjà beaucoup (trop). Idem  en studio pour les Clash, George Harrison ou le Nitty Gritty Dirt Band (le Nitty qui ? ... pfff, c'est bon, laissez tomber ...). Argument entendu à l’époque : c’est pour être conforme à la durée des concerts du Boss. Soit …
Derrière tout ça, un plan marketing mégalo de Columbia-Sony, relayé par le management (l’ambitieux et omnipotent Landau), et in fine cautionné par un Springsteen pas très bien dans ses baskets à cette époque-là : un mariage qui part en vrille, et la sortie de sa période dents refaites – bodybuilding et look Rambo-Stallone-Rocky.
Objectif de ce « Live » : être vendu à au moins dix millions d’exemplaires sur la lancée du multiplatiné « Born in the USA ». Pour l’anecdote, il y eut un petit problème de timing. Un autre label distribué par Sony, Epic, voulait sortir à la même époque le nouveau disque de Michael Jackson (« Bad »), et comptait, en ces temps de show-biz triomphant en écouler cent millions de copies. Sollicitées, les usines de pressage américaines déclarèrent impossible de faire face à une telle demande, et l’enregistrement de Jackson fut décalé de plus de six mois. Pour la morale, aucun des deux disques n’atteint ces objectifs …
Par quoi continuer ? Springsteen ? Dont je ne suis pas fan. Que j’apprécie mais sans plus. Et dont l’essentiel de la discographie me passe par-dessus la tête. Bon, touchez pas (ou dites pas de mal) à « Nebraska » et aux deux « Born … », ces trois-là je les défendrai. Mais comment, entends-je, et …, sans parler de …, ou encore …, ils sont pas géniaux peut-être ? Si vous voulez, mais moi ils me gavent… Et l’homme Springsteen me gave aussi, ce centriste perclus de bonnes manières, de bons sentiments, de bons engagements, défenseur de toutes les causes validées par l’ONU, l’Unesco et Bono… Je veux bien le soupçonner d’être tout à fait sincère, mais il y a quand même un monde entre ce pur produit du music entertainment et le Chevalier Blanc du combat social que certains le voient incarner. Finalement aussi crédible qu’un diététicien qui mangerait matin et soir chez MacDo (reproche valable également pour l’immense majorité de ses semblables).
Son succès ? Ben, on peut ni le nier ni le lui retirer. Phénomène typiquement américain par de nombreux aspects (le fan de folk, de country, de old rock’n’roll, des films des années 40 en général et de John Ford en particulier, de Woody Guthrie, Dylan et Steinbeck, le troubadour des classes populaires, plus américain que tout ça, tu peux pas …) qui a réussi à s’exporter all around the world, tandis que des contemporains pas plus mauvais et guère différents par leurs références sont restés beaucoup plus confidentiels hors de chez eux (Seger, Petty, Southside Johnny, Graham Parker et tant d’autres …) A l’écoute de ce « Live », il m’est venu un questionnement : le public du Boss (tout a été enregistré aux States) comprend-il de quoi il retourne dans ses chansons ? Sans parler du « malentendu républicain » du morceau « Born in the USA », il y a dans ce « Live » un titre qui par l’écho qu’il reçoit fait froid dans le dos. C’est la reprise du classique de Woodie Guthrie « This land is your land ». Springsteen présente le morceau, sans citer ni le titre ni Guthrie. Silence glacial (alors qu’absolument tous les autres titres du shows sont couverts par les hurlements du public au début et à la fin). Version acoustique du titre. Personne ne réagit aux premiers vers. Timides chuchotements au début  du refrain. Fin du titre et applaudissements très très clairsemés. Chacun en tirera les conclusions qu’il veut, mais il me semble qu’en France, où les trois-quarts de ses spectateurs ne comprennent pas les paroles, ils savent qui est Woody Guthrie et la filiation idéologique que représente Springsteen.
Et ce tas de skeuds ? T’en causeras un jour ? Enervez-vous pas, ça vient … Qui dit musique, dit musiciens. Et là, surprise … autant on sait que Springsteen bâcle pas le boulot en studio, que ses prestations live ravissent forcément les fans, autant un concert ou des bribes de shows différents accolées les unes aux autres comme c’est ici le cas, on est vite amené à se gratter l’occiput. Le son d’abord. Très correct, voire excellent, rien à dire, et l’on sait Springsteen particulièrement méticuleux de ce côté-là. Sauf que je subodore que tout a été remixé avec le fameux « Born in the USA  sound », à savoir claviers très présents et batterie très très en avant de Weinberg. Et là, comment dire, misère … Weinberg est un batteur d’une médiocrité étonnante, inattendue à ce niveau … et on n’entend que lui. Un autre qu’on est obligé d’entendre, c’est le « Big Man », le pote de base du Boss dans le groupe, Clarence Clemons. Qui ne joue pas du saxophone, mais souffle dedans, ce qui n’est pas exactement la même chose … Reste le cas Miami Steve Van Zandt. Auquel, plutôt que son look assez souvent consternant, on peut reprocher d’être un guitariste effacé, bon accompagnateur rythmique, mais manquant de « présence, d’attaque ». Pas un hasard si sur certaines tournées, Nils Lofgren, pourtant pas un guitar-hero au sens seventies du terme, vient renforcer le E-Street Band. Qui reste un gang soudé (les types jouent ensemble depuis des siècles), mais techniquement assez limité …
La grosse bonne surprise, elle vient de Springsteen … qui en tant que chanteur me laisse assez froid et sceptique en studio, où je trouve qu’il a souvent tendance à en faire trop, à « surchanter ». Là, dans le cadre de concerts de plus de trois heures, il peut pas se permettre de gueuler tout le temps, il faut tenir la distance, et donc y aller plus au feeling qu’au physique, suivre la mélodie et pas brailler. Les titres essentiellement acoustiques sont pour moi les meilleurs. « Thunder Road », juste piano guitare et voix en entrée est fabuleux, de même que le « Jersey girl » repris à Tom Waits qui conclue symétriquement le tracklisting. Et entre, tous les titres sur lesquels le E Street Band reste discret, (tous ceux issus de « Nebraska », plus « Racing in the streets », « Independence day », « I’m on fire », et mentions particulières à un excellent « My hometown » et un fantastique « No surrender »), surnagent nettement du reste.
Le reste, justement … il y a des classiques springsteeniens (je suis beau joueur, il en a quand même écrit queqlues uns) qui s’en sortent mieux que d’autres, comme «Hungry hearts » (grande chanson pop, une des rares du Boss dans ce domaine) ou « Born to run » pour moi à jamais son meilleur titre. A l’inverse, ça fait mal aux oreilles de voir successivement sabotés « Badlands » par une intro calamiteuse et des arrangements catastrophiques, « Because the night » par un solo de guitare affligeant, et sur la lancée « Candy’s room » malmenée par un E Street Band à la ramasse … Curieusement, alors qu’avec quarante titre son répertoire est largement balayé, on n’a pas droit à « Glory days », un de ses plus gros succès en simple et ... et ces sagouins ils ont aussi oublié « Jungleland », faut pas déconner, « Jungleland » quand même ...
On a par contre droit à tous ces twists étriqués et ces rocks centristes plus ou moins entraînants, tous ces « Paradise by the C », « Cadillac ranch », « You can look … », « Darlington County », « Working on the highway », mais qui manquent tellement de substance, de tripes, d’adrénaline … et j’aurais préféré que sur un « Rosalita » de dix minutes, au lieu de la présentation interminable du Band, on ait droit à un medley de classiques rock’n’roll ou de Mitch Ryder, comme en contenaient parfois certaines versions live de ce titre …
Ce « Live 1975 / 85 », c’est un peu une version DeLuxe d’un « Greatest hits live ». Et du côté des fans, on a pu lire plus souvent que prévu des réserves ou de la déception par rapport à ce pavé. Et quand on cause grands disques en public, peu de téméraires se hasardent à le citer. L’occasion était bonne, Springsteen était au sommet de sa popularité, encore plus au sommet au niveau artistique (il n’a pas sorti depuis cette date un disque qu’on puisse qualifier de majeur). Mais bon, là, pour le coup, c’est un peu trop … un truc beaucoup plus concis aurait certainement eu une autre allure ...

Du même sur ce blog :
Born To Run
Darkness On The Edge Of Town
Nebraska

 

8 commentaires:

  1. Bon... Il y a tout de même un élément de l'histoire sur lequel tu glisses, c'est que ce coffret était le premier enregistrement live officiel. A cette époque, les bootlegs de Springsteen sont les plus recherchés, il y avait une attente incroyable, et quand la nouvelle est sortie, ça a fait l'effet d'une bombe. C'est la deuxième meilleure vente, à ce jour, d'un album live. (le 1er, c'est un chanteur country, ché plus qui...). Ca explique donc aussi les ventes, et la difficulté de sortir un truc cohérent, qui rende non seulement compte d'un concert, de l'ambiance, mais aussi de 15 ans carrière incluant des styles différents, entre la soul 70's, le old rock, le rock carré, le folk... D'où trois périodes différentes, et donc des orchestrations et mixages différents. C'est vrai que c'est là que le bât blesse. D'autant que sur les CD, ces cons ont mis les 2 premiers titres de 81, à la fin de ceux de 78 (coupant ainsi les 4 morceaux enchainés!!!), et les premiers de 85 ("born in the usa") à la fin du CD de 81 !!

    Le son des 3 premiers disques (concerts de 78) est tout de même incroyablement bon, et la version "Rosalita" y est quasi définitive. La présentation des zicos ? Un incontournable des concerts...

    Bon, après sur le jugement strictement musical... Je te trouve un peu dur (tu imagines bien...) parce merde, les titres de "Nebraska" c'est immense. Et je précise qu'avant "This land is your land" il cite Woodie Guthrie... le concert de 78 pète le feu, les twists centristes comme "Paradise by the C" (qui n'est qu'un p'tit instrumental histoire de se mettre en jambe, pas une grande chanson...) j'en connais pas mal qui aimeraient en défourailler des pareils... La version de "The river" me fait chialer à chaque fois, les titres de "Born" sont des tueries absolues... mais mal mixées, d'accord, mais bon... faute de mieux !

    D'ailleurs, contrairement à toi, je trouve que Springsteen est très dilletante sur la qualité de ses live. Y'en a pas un qui sauve l'autre. Mixage approximatif, des montages grossiers, des bonus non intégrés, des blancs, des titres d'intro manquant, bref, des choix très contestables. Le meilleur tout supports confondus, étant le dernier DVD à Hyde Park, irréprochable. Il a donc fallu attendre 40 ans pour avoir un concert technique potable dans son salon... Alors tu penses bien, dans ces conditions, ce coffret carré et tout noir paru en 85, pour nous les humbles fans, c'est la pierre de la Mecque, on s'y rend tous les ans avec déférence !

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  2. Ah oui, juste un détail : Max Weinberg fait partie de ces grands batteurs jansénistes, qui n'ont pas un jeu forcément fougueux et subtil, mais qui sont la base en béton armé du groupe. La pulsion. En concert, la relation entre Springsteen et son batteur est essentielle, c'est le relai vers les autres musiciens, Weinberg ne quitte jamais son chanteur des yeux, ils sont connectés pendant quatre heures. Tiens, là je réécoute "Seeds" (concert de 85), immense chanson, et Max le métronome bombarde juste comme il faut, pendant que BS torture sa télécaster... C'est tout juste énorme !

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  3. Je me doutais bien que tu aurais quelques remarques à faire …

    Moi, c’est la version Cd que j’ai, et d’après ce que j’entends et ce que tu me dis de la version vinyle, j’ai bien l’impression que le son a été tripatouillé et lissé, toutes les époques sonnent quasiment pareil …

    Woody Guthrie, il le cite au tout début en disant avoir lu un chouette bouquin sur sa vie, il me semble moins explicite sur le fait qu'il soit l'auteur de la chanson dont il ne donne pas le titre, mais je suis pas assez balèze en accent du new jersey (et surtout en anglais)…

    Par contre, je dis que les titres issus de "nebraska" sont tous parmi les meilleurs du live.

    Bien défendu Weinberg en version amish d’une boîte à rythmes, mais là non, j’suis pas d’accord… les morceaux de Springsteen, c’est quand même un peu plus sophistiqué que du Status Quo, y’a pas dans le E street band de soliste devant qui il faut s’écraser … au mieux, weinberg assure tout juste le minimum sur des titres qui méritent mieux … Tu connais un peu aussi il me semble Paice, qui avait à se farcir les gros ego de Lord et Blackmore, et qui les poussait quand même bien au cul tout le temps des concerts … D’un autre côté, c’est tout à l’honneur du boss d’avoir gardé son pote, depuis tout ce temps, il aurait pu s’offrir de bons batteurs, c’est pas les candidats qui auraient manqué …

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  4. Pfff, encore un centriste. M'en vais monter un groupe, tiens... Borloo au chant, Bayrou à la batterie, Morin à la basse et Moscovici(dose) à la guitare. Quoi ? Non non, y'a pas d'intrus...

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    1. Et Marielle de Sarnez dans les choeurs ... après c'est le chanteur qui se la tape et l'épouse ... elle est pas belle la vie chez les centristes ?

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  5. Ah, c'est drôle, il y a quelques gros poissons comme ça où ça ne me traverse même pas l'idée d'écouter quoi que se soit. Springsteen en fait partie. Je sais pas, ce gros rock couillu très ricainjusqu'au bout du phalzar, ça me parle pas vraiment. Peut-être je passe à côté de quelque chose. La chanson titre de Philadedlphia est très belle cela dit. Le film, nettement moins. Pour moi le Boss ça se limite à ça. Quant à "Born in the USA", c'est sans doute le plus gros malentendu de toute l'histoire du rock, mais faut avouer que ça ressemble quand même plus à un hymne qu'à autre chose, dans la forme. Après, ces cons-là n'avaient pas du bien écouter les paroles, c'est sûr...

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    1. Springsteen mérite quand même mieux que tous les clichés réducteurs auxquels ses détracteurs le limitent ... essaye "nebraska", certes très atypique dans sa disco, c'est pas du gros rock couillu, c'est lui, un harmo, une guitare sèche, et des histoires de l’Amérique d'en bas ... et une grosse prise de risques artistiques, comme peu en ont osé ...

      Pff, être obligé de défendre Springsteen ...

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  6. La photo que tu as mis m'évoque très fortement le fameux "Jesus Christ Pose" sarcastique de Soundgarden.

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