CORONADOS - UN LUSTRE (1989)


Epitaphe

Ils auraient pu être … le groupe français d’une génération, ou quelque chose comme ça. Ils ont été les Coronados, pour deux tours de piste, « N’importe quoi » en 1984 et ce « Un lustre », forcément cinq ans plus tard.
Les Coronados avaient tout pour eux. Une crédibilité sans faille, eux les provinciaux de Limoges montés à Paris pour matraquer d’abord, puis peaufiner ensuite leur rock garage. Ils pouvaient compter sur le soutien indéfectible des fanzines, de la presse rock, avaient des fans chez les chroniqueurs de la presse dite sérieuse, tout un buzz patiemment fomenté.
Parce que si leurs prestations étaient violentes et chaotiques, c’étaient des bosseurs. Acharnés, même, d’après ceux qui les ont côtoyé, remettant inlassablement sur l’ouvrage leurs morceaux, fignolant avec un soin maniaque leurs compositions.
Les Coronados, début des années 80
« Un lustre », dans sa version originale, comporte dix titres dont deux reprises et dure demi-heure. Mais chaque seconde compte, on n’est pas dans une configuration d’enregistrement où l’on passe deux heures à régler le matos, et puis on balance les morceaux sans rien toucher et on garde la première prise. Il y a un qualificatif à manier avec précaution que j’ose lâcher, c’est spectorien. Non pas dans le résultat, c’est pas le Wall of Sound ici, mais il y a mille trouvailles, mille gris-gris sonores dans ce disque. Responsables, le groupe et l’ingé-son Didier Le  Marchand, au pedigree impressionnant, qui a traîné en studio avec foultitude de gens, de la scène rock et alterno française (Little Bob, Road Runners, Stinky Toys, Pigalle, …), jusqu’au gotha du rock mondial (Prince, Dylan, Michael Jackson, Miles Davis, Patti Smith, Peter Tosh, Kraftwerk, …). Chaque titre est conçu indépendamment des autres, il n’y a pas d’unité sonore dans le mix, les arrangements très nombreux sont chaque fois différents, les textes alternent français (le plus souvent) et anglais, la voix n’est jamais utilisée de la même façon. Et miracle, ce disque ne sonne pas comme un patchwork, un collage contre nature de bric et de broc, il y a derrière tout cela une impression d’homogénéité qui se dégage.
Il y a un choix délibéré de mettre les mélodies en avant, au détriment du mur de guitares crasseuses qu’on serait en droit d’attendre, certains titres n’évoquent en rien le rock garage, c’est de la pop first class (« Un lustre », « Encore », « Inutile de dire », « Pas de raison de se plaindre », …). Il y a aussi cette envie d’afficher des racines, de montrer d’où l’on vient musicalement (le tex-mex de « Collectionneur maniaque », le rock hardcore de « Chienne de retour », le garage psyché de « Comment croire … »). Les reprises, on sent aussi qu’elles ne sont pas là par hasard, soigneusement choisies, un titre de Muddy Waters – Willie Dixon (« I live the life I love ») traité façon Cramps, un shot de rock’n’roll brut et sauvage signé Gerry Roslie, le furieux chanteur des Sonics (« I’m gonna dance ») …
Dès la sortie du disque, tout le « réseau » se mit en branle, les articles dithyrambiques fleurirent et … le disque se ramassa. La « faute » à une parution sur un tout petit label indépendant, qui n’avait pas les moyens d’affronter la concurrence des majors derrière des Rita Mitsouko ou des Mano Negra alors au sommet de leur popularité, en attendant le raz-de-marée imminent des « Sombres héros de la mer » de Noir Désir. Les jours des Coronados étaient dès lors comptés, le groupe se sépara l’année suivante.
« Un lustre » a été réédité avec un bonus (« Un lustre … et plus »), tout comme leur premier (« N’importe quoi », plus rock, plus garage, plus basique), et les deux Cds présentent à peu près l’intégrale des enregistrements des Coronados. En bonus sur « Un lustre », on trouve notamment une superbe ballade (« La disparition des possibles ») et deux versions live ultra sauvages et destroy de classiques de la Tamla (« Money ») et Screamin’ Jay Hawkins (« I put un spell on you »), avec le renfort au chant (enfin, façon de parler, c’est chanté atrocement faux comme d’hab) de Patrick Eudeline.

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