JAMES TAYLOR - SWEET BABY JAMES (1970)


Soft rock ...

Le soft rock … rien que le nom, ça fait mal … du rock façon Canada Dry, de l’ersatz, un truc fade ? certes, bien que ce genre tombé en désuétude (aujourd’hui, on dit plus soft rock, on dit classic rock, americana, Eric Clapton ou Phil Collins, ou Muse, … ou tout ce qu’on voudra) a au siècle dernier, fini par mettre à ses pieds les seventies. Avec les triomphes et les ventes par millions des Eagles, Doobie Brothers, Fleetwood Mac, … en gros tous ces Californiens farcis de coke, mais aux chansons qui se retiennent …
James Taylor & Carole King 1971
L’affaire a commencé avec deux disques aux débuts des années 70. Le « Tapestry » de Carole King et ce « Sweet Baby James » de James Taylor. Et ce n’est bien évidemment pas un hasard si chacun des deux est crédité sur le disque de l’autre. Les deux étaient amis (et le sont toujours, ils tournent souvent ensemble maintenant dans le circuit nostalgia américain), et partagent la même vision de la musique. En gros, des chansons simples mais bien foutues avec de jolies mélodies en avant, des arrangements boisés et limpides, et une fausse nonchalance (fausse, parce qu’il faut bosser, ou être doué, pour faire ce genre de disques et éviter que ça sonne tout mou et tout ringard).
James Taylor est un touche-à-tout, qui musarde dans tous les genres traditionnels américains, passant avec une égale aisance du folk à la country, de la pop au blues, mélangeant à l’occasion tout çà … Ce « Sweet Baby James » rencontrera un colossal succès dans le monde dit libre, mais surtout au States, et surtout sur la côte Est, porté par des morceaux qui squatteront le haut des charts (le country-rock de « Country road », et cette quintessence de l’americana à venir qu’est « Fire and rain »).
Le reste n’est pas mal non plus, du folk pour feu de camp de « Oh ! Susannah », au duo avec Carole King (« Blossom »), en passant par le country-rock pépère du morceau-titre. Et puis, de temps en temps, Taylor se lâche, va s’abîmer la voix sur des blues près de l’os (« Steamroller » et « Oh baby, don’t you loose … », ces deux titres enregistrés live), ou sur le dernier titre, « Suite for 20 G », rhythm’n’blues canaille avec riffs sauvages de cuivres et tout le tremblement.
C’est sûr que le fan de grindcore restera quelque peu sur sa faim, mais celui qui aime des chansons américaines cool va y trouver son compte. James Taylor est une institution aux USA, mais a eu même dans sa période majeure (les 70’s), assez de mal à s’exporter …

JACQUES DUTRONC - JACQUES DUTRONC (1967)


On nous cache tout, on nous dit rien ...

Tout le monde aime Jacques Dutronc. Généralement pour de mauvaises raisons. Dutronc est pour certains au Panthéon de la chanson française de qualité. Faut pas déconner, il a pas écrit les paroles d’un seul de ses bons titres. Et des bons titres, justement, hormis peut-être le scato-punk-rockab « Merde in France », il en a pas sorti un depuis presque 45 ans.
Alors, faute de bonnes chansons depuis des siècles, on se gargarise du personnage Dutronc. Le gentil poivrot à l’humour tongue-in-cheek, le dandy feignasse, le timide qui cache ses complexes derrière ses Ray-Ban, l’amoureux des chats et de la Corse, que sais-je encore … Et le mari de Françoise Hardy. Françoise Hardy ? Qui a dit ça ? Ah, ben là, fallait pas, ça va tomber comme à Gravelotte. Cette vieille mémère bobo diseuse de bonne aventure me gonfle grave, surtout quand elle parle. Ce qu’elle raconte est du même tonneau que ce que raconte sa quasi contemporaine Brigitte Bardot, une piquette verbale plus qu’idéologiquement douteuse. Mais voilà, celle qui buvait des drinks dans les boîtes londoniennes avec Mick Jagger, Keith Richard et Brian Jones, qui avait Bob Dylan à ses pieds dans un hôtel parisien, a fini par croire que ces gens-là la trouvaient intéressante et cultivée. Ben non, ils voulaient juste te sauter, parce que tu représentais un fantasme, l’image de la fille idéale des sixties avec ton look longiligne, tes grands yeux tristes et tes mini-jupes Paco Rabanne. Ils en avaient rien à cirer de ce que tu pouvais raconter, faudrait comprendre ça un jour, et la fermer maintenant … Voilà, voilà … Les inconvénients du direct …
Revenons donc à Dutronc. Très surestimé selon moi depuis ce disque, aucun de ceux qui ont suivi n’atteindra le niveau de ce premier effort. C’est bien simple, au  moins la moitié de ses meilleurs titres est sur ce « Jacques Dutronc » de 1967. Même pas un « vrai » disque, puisque la réunion de 3 Eps parus un peu plus tôt dans l’année, mais qu’importe. Un Dutronc qu’il faut replacer dans le contexte de l’époque, la France de De Gaulle, en pleine vague yé-yé retombante. Dutronc est grouillot chez les disques Vogue, guitariste dilettante d’un groupe de quatrième zone, El Toro et les Cyclones. Son patron chez Vogue, Jacques Wolfsohn cherche un concurrent à Antoine. Dutronc amène des chansons qu’il a composées, aux textes signés Jacques Lanzmann, écrivain « engagé » (en gros, proche des idées communistes). Pour ne pas rater le train contestataire mis sur les rails par Antoine, et faute d’avoir mieux sous la main, Wolfsohn poussera Dutronc derrière le micro … on connaît la suite…
Dutronc est un amateur de rock. Ça se voit rien que sur la pochette, tenue vestimentaire mod classique, le même genre de fringues que portaient Steve Marriott, Pete Townsend, Roger Daltrey et les frangins Davis sur leurs photos en 1966. Et dès qu’il y a un titre « rock » chez Dutronc, on retrouve tous les tics sonores repérés chez Small Faces, Who ou Kinks, mélodies énergiques  et guitares fuzz (« Sur une nappe de restaurant », « J’ai mis un tigre … », le quasi Sonics « Les gens sont fous … », le très méchamment rock’n’roll « Mini-mini-mini »).
Il y a dans ce premier disque les titres mythiques de Dutronc, le sarcastique doo-wop « Les Playboys », le sautillant et syncopé « Et moi et moi et moi », qui forgera l’image de Dutronc, gentiment cynique et j’menfoutiste, le rhytmn’n’blues cuivré « On nous cache tout, on nous dit rien », l’incontournable rock garage primaire « Les Cactus ».
Et surtout le chef-d’œuvre absolu « La fille du Père Noel ». Au moins dans le Top 5 des meilleurs titres de rock publiés par des Français. Même si Dutronc s’est pas foulé, il a pompé le riff de « I’m a man » de Bo Diddley (lequel l’avait déjà emprunté au « Hoochie Coochie Man » de Willie Dixon et Muddy Waters) … On va pas lui jeter la pierre pour ça, d’autant que quelques années plus tard, un certain David Bowie recyclera le même riff pour son « Jean Genie », l’histoire du rock n’étant en définitive faite que de pillages et « emprunts ».
Il y a aussi d’autres titres sur ce disque. Malheureusement, est-on tenté d’écrire. Des pochades bâclées (Dutronc ne joue pas les fainéants, c’en est un) qui préfigurent  les funestes titres qui ne tarderont pas à inonder son répertoire (« L’opération », sans intérêt, les arpèges byrdsiens de « L’espace d’une fille » jetés sans conviction). Ou le terrifiant « La compapade », grotesque morceau qui fleure bon les slogans « Y’a bon Banania », et annonciateur des horreurs genre « L’hôtesse de l’air » qui ravissent toujours aujourd’hui les beaufs en goguette…
Malgré tout, vers 66-67, Dutronc est globalement excellent. Ça  ne durera guère

MICHAEL HANEKE - FUNNY GAMES (1997)


A history of violence ...

« Funny Games » a obtenu le Prix Très Spécial du Jury au Festival de Cannes 1997. Une distinction étymologiquement méritée, car « Funny Games » est un film très spécial. La controverse au moment de sa sortie a été à la hauteur du traumatisme que le film engendre. Son réalisateur Michael Haneke entretient depuis des relations très particulières avec le petit monde du cinéma, au début rejeté, et maintenant régulièrement distingué.
En 1997, Haneke n’est connu que des amateurs de cinéma « auteurisant ». Originaire d’un pays ignoré des atlas du 7ème art (l’Autriche), responsable d’une poignée de films à petit budget, il va avec « Funny Games » signer le point de départ d’une lignée d’œuvres auxquelles se retrouvera bien souvent accolé l’épithète de « sulfureuses ». Haneke est un austère psycho-rigide, un maniaque qui trouve des thèmes forts, qui prend le spectateur à la gorge et ne le lâche plus. Haneke fut un des triomphateurs « maudits » de Cannes, comme Pialat ou Von Trier, avant d’être maintenant œcuméniquement célébré, en ayant certes bien « adouci » ses films …
« Funny Games » est un film sur la violence, d’une neutralité terrifiante. Le film ne fait pas l’apologie de la violence ou ne la condamne pas. Il la montre, simplement, crûment. Enfin, il ne la montre même pas, tous les crimes ou actes sadiques se passent hors champ. Le film est totalement noir, d’un nihilisme traumatisant. Aucune forme d’explication, aucun espoir de rédemption, d’hésitation, de regret. Des huis clos étouffants l’espace d’une fin de journée et d’une nuit. Une forme de comique sadique, car Haneke et les deux tortionnaires du film s’amusent avec le public (l’irréelle scène du rembobinage, les clins d’œil, les apartés, les prises à témoin du spectateur par Paul, le plus angéliquement diabolique du duo). « Funny Games » joue avec les codes de la tragédie racinienne ou cornélienne (les personnages n’échappent pas à leur destin) , les « bons » sont condamnés, les « méchants » ont toujours la chance de leur côté quand un grain de sable pourrait enrayer leurs funestes projets.
« Funny Games » n’est pas l’antithèse d’un « Orange mécanique » ou d’un « Natural born killers » (finalement « justes » et « moraux » par leurs conclusions), il en est le contrepoint négatif. Une dissection sombre d’une journée en enfer que vit une famille (les parents, leur fils et leur chien), arrivant dans leur villa de vacances cossue au bord d’un lac. On ne sait pas qui ils sont, ce qu’ils font, d’où ils viennent. Et ça n’a aucune espèce d’importance. On les devine aisés (belle résidence secondaire, gros 4X4, voilier, clubs de golf), mais il n’y a aucun message social, aucun message politique de lutte des classes dans « Funny Games ». Les « victimes » ne sont pas choisies pour ce qu’elles représentent, elles croisent juste le périple sanglant de deux adolescents, au look de scouts BCBG (tenues de tennis d’une blancheur immaculée, gants de golf), aux manières polies et même obséquieuses, mais à l’invariable terrifiant objectif (en gros, take no prisoners). De ces deux jeunes non plus on ne sait rien et on n’apprend rien, au contraire Haneke joue avec les clichés, l’un des deux (Paul, la tête pensante du duo, superbement campé par l’inconnu Arno Frisch) y allant à moment donné d’une drolatique tirade sur le milieu social de son pote Peter, faussement présenté comme énième enfant incestueux et drogué d’un père alcoolique et d’une mère qui tapine … Haneke rejette tout déterminisme social, « Funny Games » n’est pas un film à message, même subliminal. Juste un fait divers sordide et sanglant dont on est le spectateur, ou plutôt le voyeur.
« Funny Games » n’est pas un film gore, c’est un thriller implacable, qui offre des perspectives de happy end, la mère et son fils réussissent à tour de rôle à s’échapper (grandes scènes de suspense lorsque cette dernière hésite à arrêter les voitures qui arrivent lentement dans une interminable ligne droite de route de campagne, quand son enfant réfugié dans une maison voisine déjà « visitée » par les deux tueurs trouve un fusil, quand le couple tente de faire fonctionner un téléphone portable tombé dans l’eau, quand un couteau traîne sur le voilier, …). Le suspense est étouffant, la torture morale infligée par les deux jeunes souvent plus terrifiante que la violence physique pourtant ultime (la scène du strip-tease, celle, terrible et interminable, des deux parents prostrés dans le salon, sans un mot, un cri, une plainte, alors que sur l’écran ensanglanté de la télé se déroule une course automobile, la scène de la prière, …).
Haneke filme d’une matière glaciale et clinique, ultra-classique. Pas de mouvements savants de caméra, pas de montage hystérique, grande sobriété dans l’interprétation, pas de cris, de hurlements. Les victimes sont hébétées, donnent vraiment l’impression de vivre un cauchemar dont elles espèrent se réveiller, font tout pour croire et se persuader qu’une issue favorable est possible. Ce film est porté par une énorme performance de Susanne Lothar, actrice allemande peu connue venue du théâtre, décédée bien jeune ce 21 Juillet, et à laquelle Haneke, pourtant avare de compliments, rend un hommage appuyé dans les bonus du DVD, en précisant que la terrible scène de la prière a été tournée sans aucun maquillage, son actrice s’étant « préparée » à la jouer en pleurant vingt minutes dans sa loge pour avoir ce visage ravagé par la douleur et l’effroi …
L’heure trois quart du film semble interminable par les scènes insoutenables qu’elle aligne, alors que seule une partie du périple sanglant des deux jeunes est montrée (on sait par la vison fugitive de jambes ensanglantées dans l’entrebâillement d’une porte qu’ils ont déjà sévi chez les voisins, et la dernière scène montre la prise de contact avec leurs futures victimes). Le film est fini, pas l’histoire qu’il montre …
Un seul reproche, une faute de goût et une accroche à gros sabots dans la bande-son. L’essentiel est composé de musique baroque ( le film débute d’ailleurs par un blind-test dans le 4X4), et brusquement, quand s’incruste le titre en énormes lettres rouge-sang, ce sont les accords plaqués de jazz-métal du par ailleurs insupportable John Zorn qui rythment la séquence, en rajoutant une couche sur la théorie stupide qui voudrait qu’écouter de la musique violente très fort induise un comportement violent. Euh, j’ai encore tué personne moi … bon, je passe pas mon temps à écouter John Zorn non plus, ceci explique peut-être cela …

LL COOL J - MAMA SAID KNOCK YOU OUT (1990)


Le Retour

Plus que dans tous les autres genres musicaux pour les djeunes, le rap a toujours été celui où les carrières se font et se défont le plus vite. LL Cool J est un cas d’école. Un des premiers à rapper en solo et non pas dans un « collectif », et de fait un des premiers rappeurs tout court (premier disque, « Radio », en 1985). Cinq ans plus tard, LL Cool J n’a que vingt-deux ans et se traîne une réputation de terrible has-been, de ringard total.
Ce jeune con ( ? ) a totalement zappé l’aspect qui commence à devenir essentiel dans le rap, la surenchère verbale s’appuyant sur la fameuse et fumeuse street credibility. Un « bon » rappeur se doit d’être une grande gueule, et avoir un lourd passé indiscutable de caïd de cage d’escalier, voire de dealer ou de pimp. Ceux qui cumulent tout ça (ou le prétendent) deviennent les héros d’une jeunesse américaine quelque peu lobotomisée, ayant oublié d’où venait le rap (de la rue certes), et à quoi il servait (à faire passer des messages comme le disait Grandmaster Flash, à s’exprimer, à revendiquer).
En quelques années, les petits loulous machos et bling-bling ont zappé tout ça, seuls ne comptent plus que la réputation et le paraître. Et pendant ce temps, le LL Cool J sortait des slows rap romantiques, et prenait position contre la drogue, et notamment le crack qui commençait à remplir les cimetières des ghettos urbains. Tout le « milieu » du rap s’esclaffait et rimaillait sur le pauvre James Todd Smith (son vrai blaze). Aujourd’hui, LL Cool J est toujours là (certes pas au sommet de son art), et ses détracteurs oubliés par à peu près tous (MC Hammer quelqu’un l’écoute encore ?).
LL Cool J a fait la seule chose qui vaille vraiment quand on fait de la musique, il a sorti un bon disque qui s’est vendu par pleins camions. Raide dans ses baskets, réglant juste de ci de là quelques comptes avec la concurrence, Cool J a démontré tout un tas de choses. Qu’il a un flow énervant de facilité, assorti d’une diction parfaite (en gros, il rappe pas façon Uzi en bouffant la moitié des syllabes), qu’avec son producteur Marley Marl (un des cadors aux manettes de la fin des années 80, précurseur innovant qui a déblayé le terrain pour tous les Dr Dre à venir) il a l’air et l'art de faire passer du rap pour des chansons, ou vice-versa. Il y a sur ce « Mama … » des mélodies qu’on pourra qualifier de « faciles », derrière chaque couplet, chaque refrain, chaque break … un son qui cherche pas l’agression systématique (même si accessoirement on peut penser au terrorisme sonore de Terminator X chez Public Enemy comme sur « Murdergram »), cherchant plutôt à synthétiser sur un seul disque tout ce qui a été entendu dans le rap depuis qu’il existe.
Ici plus de breakbeats colossaux comme à ses débuts, mais des rythmiques soyeuses, tout en souplesse (le morceau-titre), drivées par des basses souples, rondes, élastiques, tirant parfois vers le jazzy (« To da break of dawn »). LL Cool J n’hésite pas à balancer des cuivres rhythm’n’blues ou disco (« Jingling baby »), des ambiances envapées et guillerettes qui montrent que le premier disque de De La Soul a été assimilé. LL Cool J était accusé de faire des trucs mollassons, voire des slows ? qu’à cela ne tienne, il récidive ave « 6 minutes of pleasure » et ce titre évoque autant le Curtis Myfield des 70’s que les Fun Lovin’ Criminals à venir … Et puis, manière d’aggraver encore plus son cas, il chique au dur sur la pochette tout en biscotos saillants, chaîne en or de quinze kilos, bagouzes en poing américain pour balancer dès le second titre une chanson (y’a pas d’autre mot) très pop, avec un sample du hit bubblegum oublié des Mary Jane Girls.
En fait, avec ce disque, LL Cool J peut tout se permettre, c’est le genre de choses que l’on doit sentir dès le studio promues au succès. Les moqueurs se sont moqués, LL Cool J a raflé la mise et est devenu une institution de rap.
« Mama … » est un disque de rap qui pourrait plaire à tout le monde, et surtout à ceux qui n’aiment pas le rap.
Et si LL Cool J avait inventé le rap centriste ?


AL GREEN - LIVIN' FOR YOU (1973)


La fin d'une époque ...

Parce que quand paraît ce « Livin’ for you » fin 73, ça commence à sentir le sapin pour la soul music, qui après la lente transmutation à partir du blues, du rhythm’n’blues et de la pop et une apogée dans la seconde moitié des sixties, commence à passer de mode. Les figures légendaires sont mortes (Sam Cooke, Otis Redding), ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes (qui peut citer un 33T d’Aretha Franklin des 70’s ?), ont fait évoluer le genre, allant vers des sonorités moins rauques, moins exubérantes, plus soyeuses (Gaye, Wonder, Mayfield, Hayes, …). Les grands labels historiques du genre (Stax, Atlantic, voire Tamla Motown) ne publient plus de singles, d’albums et d’artistes soul majeurs, du côté de Philadelphie, on enrôle des armadas de violonistes pour ce qui deviendra le sous-genre soul baptisé Philly Sound, et un peu partout les grosses séquences rythmiques pré-disco pointent leur tchac-poum métronomique.
En fait, c’est dans la terre des rednecks, là où est né le rock’n’roll que la soul résiste. Plus particulièrement à Memphis, où est basé le label Hi Records de Willie Mitchell, un patron qui met la main à la pâte, puisque auteur, compositeur, arrangeur et producteur des artistes du label. La grosse affaire de Hi Records, c’est Al Green. Une voix de velours et une image de séducteur à la Marvin Gaye, et quelqu’un qui sait écrire des chansons d’amour langoureuses. Le duo Mitchell – Green, lentement mais sûrement, mettra en place une formule sonore reconnaissable. Une triplette de disques à gros succès (« Let’s stay together », « I’m still in love with you », « Call me ») apportera succès critiques et commerciaux à Al Green.
« Livin’ for you » est le disque qui paraît alors que Green est au sommet de sa popularité, qui contient deux de ses plus gros succès (le morceau-titre et « Let’s get married »), et qui constitue l’apogée artistique de Hi Records.
Tout ici n’est que luxe, calme et volupté, et ce disque acclamé au moment de sa sortie a tout compte fait plus mal vieilli que ses prédécesseurs. On n’est pas dans la guimauve, mais on s’en rapproche, on a perdu tout sens de la bestialité, de l’animalité, qui sont indispensables à toute bonne soul music. Toutes les aspérités, vocales ou instrumentales, sont gommées par des arrangements chiadés, de cuivres notamment (Mitchell est un ancien trompettiste, ceci explique sans doute cela). Le dernier titre du disque traduit bien cette évolution, il est le plus long produit par Green, et tire furieusement vers une sorte de jazz-funk qui laisse assez dubitatif. La reprise du « Unchained Melody », le classique des Righteous Brothers, est pareillement révélatrice de cette évolution, et même si Al Green en donne une bonne relecture, elle n’a rien à voir avec l’exubérance de la version originale produite par Spector …
Ce disque n’est pas mauvais, loin de là, ça reste un des meilleurs d’Al Green, mais il va marquer un tournant dans sa carrière, lui faisant quitter le registre d’une soul music seventies somme toute classique, et semblant s’orienter vers une soul beaucoup plus easy-listening. Al Green n’aura pas le temps de se poser trop de questions sur son évolution artistique, la rubrique faits divers se chargera de modifier en profondeur sa personnalité.
Quelques semaines après la parution de « Livin’ for you », sa femme tentera de l’assassiner avant de se suicider, et Al Green, choqué à jamais par cette tragédie, se tournera vers le mysticisme, la religion, deviendra pasteur. Evidemment, l’impact sur sa carrière, qu’il continuera et continue encore de nos jours, n’aura plus rien à voir avec la soul veloutée et hédoniste de ses débuts …

GRANDADDY - SUMDAY (2003)


Le coin des grabataires ?

Suffit de voir leurs bobines aux Grandaddy, improbable mix entre bûcherons canadiens, truckers américains et ZZ Top pour savoir que l’on n’a pas affaire à un phénomène de mode. Des types bedonnants et hors d’âge, de grand dadais (trop facile, celle-là) à la ZZTopesque pilosité, issus de Modesto, Californie.
Grand Manitou du groupe, Jason Lytle … qui a tout d’un grand, auteur unique de tous les titres de ce « Sumday ». Qui est un disque américain atypique, puisque c’est un des meilleurs disques anglais de la décennie. Lytle et ses potes sont fans de pop anglaise, et ça s’entend au détour de chaque chanson. Un fan qui en plus sait écrire des trucs imparables, d’une évidence sidérante. Un des grands songwriters américains, à ranger aux côtés de son contemporain Elliott Smith, rayon surdoués mélodiques. Sauf que là où l’auto-poignardé faisait plutôt dans l’enrobage austère, les Grandaddy poussent leurs titres dans une exubérance de sons, d’arrangements, d’harmonies vocales, retrouvant les alchimiques formules qui faisaient fonctionner les chansons dans les lointaines sixties.
Mais Grandaddy ne sont pas que des revivalistes béats, obnubilés par les instruments en bois et les amplis à lampes. Ils montrent qu’ils s’y entendent à faire tourner toutes les bécanes électroniques dans des studios modernes. Les machines sont là et bien là, omniprésentes, mais reléguées au second plan pour offrir un écrin aux chansons.
On pense quelque fois, et même plus que de raison aux Beatles, « I’m on standby » semble un inédit de « Let it be » (l’album), « Saddest vacant … » va encore plus loins dans le côté « Let it be » (le titre) avec son intro au piano, même si c’est pas le meilleur titre de ce « Sumday ». Pour en terminer avec le syndrome Fab Four, il convient de citer le fantastique « Stray dog … », qui utilise les mêmes gimmicks rythmiques déjà entendus sur leur reprise de « Revolution » pour la B.O. du film « I am Sam », ou le piano très « Imagine » de « The warming sun ».
La voix fluette et aiguë de Lytle oblige à citer Neil Young (sacré mélodiste celui-là aussi), et on pense souvent au country-rock du Canadien de ses débuts en solo ou de l’époque Buffalo Springfield, flagrant sur le renversant et inaugural « Now it’s on », sur « Yeah is what we had » (avec sur ce titre des bribes mélodiques de « Watching the wheels » de Lennon me semble t-il). Parce que çà, exhiber la madeleine proustienne sonore, ils savent faire Lytle et ses Grandaddy et que celui qui ne pense pas à « Mrs Robinson » de Simon & Garfunkel en écoutant « El Caminos … » prenne rendez-vous chez son ORL …
Bon, il faut quand même avouer, et c’est parfois le reproche fait à ce disque, que l’immense majorité des titres étant sur le même tempo et faisant appel aux mêmes recettes, on a l’impression de tourner en rond sur la même chanson. Si on n’aime pas au bout de quelques mesures, pas la peine d’insister …
Moi j’ai choisi mon camp, des disques qui font penser à l’orfèvrerie des Beatles, des Beach Boys, ou des plus oubliés magiciens de la chose pop qu’ont été Left Banke ou les Zombies, eh bien je suis preneur …
Grandaddy a existé dix ans avant de se dissoudre au milieu des années 2000, et a laissé une poignée de disques dont ce « Sumday » constitue le dernier volet d’un triptyque majeur comprenant « Under the western freeway »«  et « The sophtware slump ».

Des mêmes sur ce blog :



(On trouve de tout sur YouTube, même un blaireau qui met ses photos de vacances avec Grandaddy en fond sonore ...)

BOBBY WOMACK - THE BRAVEST MAN IN THE UNIVERSE (2012)


Un come-back étonnant ...

Il ne devait pas y avoir grand-monde pour espérer un disque, et surtout un bon, de Bobby Womack en 2012. Même pas lui d’ailleurs …
Bobby Womack, 68 ans au compteur. Repéré par Sam Cooke (Bobby repèrera lui Barbara, la femme de Sam Cooke qu’il épousera, scandale médiatique à l’appui, trois mois seulement après l’assassinat du grand Sam), Womack deviendra la figure de proue et principal auteur du groupe doo-wop pré-soul Les Valentinos. Dont la reprise d’un de ses titres « It’s all over now » deviendra en 1965 un des premiers gros hits des Rolling Stones, ce qui offre une promotion artistique conséquente et une notoriété certaine. Bobby Womack végètera cependant des lustres avant d’obtenir son plus gros succès, l’album « The Poet » au début des années 80, avant de sombrer à nouveau dans l’indifférence du grand public.
Les cinéphiles l’avaient peut-être entendu en 2009 dans le fabuleux « Fish tank » (c’est sa reprise, quelconque il faut bien dire, de « California dreamin’ » qui est en fond sonore à plusieurs reprises dans le film). C’est Damon Albarn, l’année suivante qui le remettra encore sous les feux de l’actualité en l’embauchant pour son groupe virtuel Gorillaz, pour le Cd « Plastic Beach » et la tournée qui s’ensuivit. C’est le même Albarn que l’on retrouve partout, à la co-écriture, aux arrangements et à la production de ce « Bravest man … ». Un disque pour lequel il faut au préalable évacuer quelques méchants préjugés, à commencer par une pochette hideuse, mais c’est pas tout. Bobby Womack, à cause de l’âge et surtout d’excès opiacés en tout genre, n’a plus la voix du chanteur des Valentinos. Sa voix aujourd’hui est étrangement aiguë, éraillée et métallique, et on la devine fortement triturée par les machines d’Albarn en studio, pour un résultat qui peut parfois rebuter (comme sur « Stupid », titre sur lequel elle me paraît vraiment trop bidouillée et pénible), mais s’accorde généralement assez bien, voire très bien, avec la musique concoctée par Albarn.
Damon Albarn & Bobby Womack
« The Bravest man … » est clairement un disque de soul music. Mais là aussi, ceux qui attendent quelque chose qui sonne comme du temps de l’âge d’or sixties du genre, une resucée du son Stax ou Atlantic, risquent fort de se gratter l’occiput. « The Bravest man … » est clairement aussi un disque de son temps, les dernières bécanes et plug-in électroniques constituent l’essentiel de la trame sonore. Et la vieille légende et le (plus tout) jeune touche-à-tout n’y vont pas avec le dos de la proverbiale cuillère, le premier titre éponyme est le plus avant-gardiste du lot, mix improbable, surprenant et pourtant réussi entre trip-hop et soul, et pourrait figurer tel quel sur un Best of de Massive Attack.
Tout n’est cependant pas férocement expérimental et étrange. Il y a des titres soul bien dans la ligne du parti (en gros mélodie de baise et voix de braise), juste maquillés par un léger fond de teint électronique (« Please forgive my heart », un titre tout au feeling), un morceau avec juste la voix et une guitare acoustique (la reprise de l’antique classique « Deep river » qui du coup sonne comme un « Redemption song » ... de Marley , et surtout pas  comme la scélérate version de Jahnnick Noah). Il y a de très excellentes choses, avec un « Sweet baby mine » qui ressort du lot, les machines envoient une pulsation cardiaque sur une chanson soul vintage et ça le fait grave, il y a des tempos qui s’accélèrent vers la fin (« If there wasn’t something there » on jurerait une chute de Gorillaz), des choses qui renvoient au balancement dansant des autres Womack (en l’occurrence Womack & Womack, soit Cecil, le frère de Bobby et Linda, sa belle-fille et belle-sœur, puisque fille de Sam Cooke et femme de Cecil, vous suivez ?), ça s’appelle « Love is gonna lift you up » …
Il y a un hommage à Gil Scott-Heron (mort l’année dernière), l’un de ceux présentés comme les antiques parrains du rap, pote de Bobby et l’on entend sa voix dans l’intro de « Stupid », titre par ailleurs peu convaincant. Il y a un duo (très bon) avec l’actrice et chanteuse malienne Fatoumata Diawara (« Nothin’ can save ya »), une sorte de court rythm’n’blues tribal qui conclut le disque (« Jubilee ») et qui si on en juge par les rires de fin de bande est plus une récréation de studio qu’un titre vraiment finalisé.
Et puis il y a ce qui sera la grosse affaire de ce disque. Le genre de truc qui peut vous mener en heavy rotation sur MTV ou vous ringardiser à jamais, un duo avec Lana Del Rey. Etant d’humeur charitable, je ne dirais pas de mal du dernier cataplasme branchouille botoxé qui ravit tous les sourds aux goûts de chiotte de la planète. Je m’en tiendrais strictement à la qualité du titre (« Dayglo reflection ») qui mélange les voix du vieux faune et de l’aphone, et je dirais que l’alchimiste Lana Del Machin tourne là à plein régime, et confirme que tout ce qu’elle chante (enfin, chanter est un bien grand mot, elle essaye d’imiter la voix tuberculeuse de la Marianne Faithfull des années 80 et suivantes) se transmute instantanément en grosse daube.
Sinon, le reste du disque est très bon, c’est un disque de soul fait en 2012 par une des dernières vaches sacrées encore en vie, et ça pourrait même plaire aux geeks puceaux (pléonasme) qui attendent impatiemment la sortie du prochain iPhone …

LE ROCK D'ICI A L'OLYMPIA - LA NUIT PUNK DE L'OLYMPIA (1978)


216 fauteuils cassés pendant les 3 nuits ...

C’est ce qu’il y a écrit sur la pochette, preuve photographique à l’appui … et ça en dit long, bien long, sur l’état du rock français à l’époque… être « obligé » de saccager l’Olympia pour faire parler de soi.
Parce que sinon, les punks français … hum, on peut pas dire que le monde entier nous les ait enviés et qu’ils sont souvent cités de nos jours (sauf quelques fois Metal Urbain, par des groupes noisy ou hardcore américains). D’ailleurs même si la légende savamment entretenue par quelques-uns fait état d’un vaste mouvement punk hexagonal, elle englobe des gens qui n’ont rien ou pas grand-chose à voir entre eux, contrairement à la scène punk londonienne ou new-yorkaise.
Stinky Toys
Il y a d’ailleurs dans le livret une déclaration assez édifiante, honnête et réaliste de Jacno, sur ces soirées à l’Olympia, qui met l’accent sur le fait que les différents groupes « ne s’aiment pas », et que jalousies mesquines et attitudes méprisantes entre Parisiens et provinciaux, entre groupes signés sur un label ou non, sont monnaie courante. En fait sous le terme « punk » sont répertoriés des gens qui n’ont comme seul point commun que de se lancer dans la musique circa 77, avec leurs propres moyens et à l’arrache. L’esprit « do it yourself » doit être le seul dénominateur commun  aux groupes présents ici, au moins à leurs débuts, aucun n’étant né avec une cuillère d’argent gentiment tendue par les majors ou le show-biz.
A leur décharge, les groupes « made in 77 » arrivent dans un pays où le rock n’existe pas, ou sinon représenté par le prog champêtre de Ange, ce qui revient au même … 
Asphalt Jungle
Les hostilités sont ouvertes, en tout cas sur le Cd, par les Lyonnais de Marie et les Garçons (Marie est la batteuse du groupe), sous forte influence américaine Televison – Talking Heads, et qui recueillent les sifflets du public (le public punk parisien de l’époque manquerait-il d’humour ?) lorsqu’à la fin de leur titre, ils embrayent sur une reprise de « Macho man » des Village People. Les Stinky Toys sont eux totalement dans « l’esprit », autour de Jacno et d’une Elli (pas encore Medeiros) qui chante faux comme ça devrait pas être permis. Mais c’est très bien … Un autre qui chante aussi très faux c’est Patrick Eudeline, et son « classique » « Asphalt Jungle » avec le groupe du même nom qui n’oublie pas de se prendre pour Johnny Thunders et ses Heartbreakers. Punk attitude irréprochable, intérêt musical très anecdotique … C’est pas les seuls à avoir un intérêt musical anecdotique … Diesel auraient été rouges de honte si on leur avait dit que leur truc, c’est juste du classic rock tendance heavy blues ; les Lou’s, rien que des filles, difficile d’en dire du mal sans se faire traiter de sexisme ou de machisme, donc motus et bouche cousue ; Starshooter, qui ne vaut que pour quelques 45T rigolos, confirme avec un de ses classiques dispensables (« 35 Tonnes ») que s’ils savent à peu près jouer correctement, ce n’est que du rock très mainstream.
En fait, en plus des Stinky Toys, les trois autres vrais bons de cette compilation sont pour moi Bijou (pas exactement des punks), précis, carrés et très énergiques qui boostent « OK Carole », et réussissent même à se faire ovationner avec un instrumental pourtant technique bien que très énergique. Les banlieusards parisiens sont très nettement au-dessus du lot, et pas par hasard, ils feront aussi un triomphe aux deux festivals punks de Mont-de-Marsan en 77 et 78. Les Lyonnais d’Electric Callas s’en sortent plutôt bien avec une version ralentie et originale du classique des Stooges « I wanna be your dog ». Egalement sur le podium les Parisiens de Guilty Razors, avec son chanteur au phrasé arrogant et méprisant, pour un titre titubant mais au moins parfaitement dans l’esprit …
Cette compilation est parue en 1978, et rééditée en Cd en 1999 sur le label Jurassic Punk (bonne vanne !). Totalement fidèle au 33T initial, c’est-à-dire sans bonus et en conservant le son pourri (on dirait que c’est enregistré avec un dictaphone dans la rue devant l’Olympia). En fait c’est pas un disque pour les amateurs de musique, c’est un disque pour les amateurs de rock, ce qui n’est pas exactement la même chose …

THE REBIRTH OF COOL - VOLUME 3 (1995)



Recyclage of cool, volume 1756896584 …
Bon, là je suis chaud, Earhtling, Basement Machin… et comme le seul blog de ce pays consacré aux musiques électroniques (oxymore) a mis la clef sous le paillasson, manière d’aider à la représentation des minorités visibles (et surtout bruyantes), une ch’tite compile electro-machin-bidule …

A cette époque-là (le milieu des années 90), il en pleuvait littéralement des compiles plus ou moins techno, toutes les maisons de disques, y compris certaines crées pour l’occasion y allant de leur florilège de machins électroniques, généralement très mauvais. Le label Fourth & Bway (??) responsable de celle-ci se signale à l’attention des auditeurs potentiels en évitant les grosses daubes, affichant au générique valeurs sûres et buzz plus ou moins underground.
Leena Conquest
La chose est cependant rendue plus ardue par les versions anglaises et américaines de ces compilations, parfois aux pochettes identiques et aux contenus différents (ou le contraire), les versions anglaises contenant généralement plus de titres… bref, un vrai bordel pour s’y retrouver … Les plus perspicaces auront remarqué que les genres abordés (« The birth of cool » est le titre d’un disque de Miles Davis) s’inspirent, samplent, échantillonnent, de la musique venant du jazz, du blues, de la soul, en gros des musiques noires du paléolithique supérieur (début de la seconde moitié du XXème siècle). Les érudits diront que ça ressemble étrangement aussi aux compiles de la série « Jazzmatazz » fomentées par Guru, le rappeur de Gang Starr…
Donc sur celle-ci, y’a du lourd, du connu, du célèbre et célébré. Des titres parfois sous forme de versions alternatives, extended, single-edit, remixed, … tous ces colifichets sonores sans aucun intérêt mais qui ravissent les amateurs de la chose électronique, nique, nique (ton portefeuille) …
Pourtant d’entrée y’a de quoi retourner fissa aux Cramps. Une dénommée Jhelisa mélange house, jazz, soul et rap, l’objet du délit s’appelle « Friendly pressure » et y’a vraiment pas de quoi se relever la nuit pour l’écouter. Dans le même genre, Leena Conquest fait beaucoup mieux, allez savoir pourquoi, « Boundaries » ça s’appelle, et ça avait bien marché en son temps.
On peut zapper aussi, les ci-devant autrichiens très chiants Kruder & Dorfmeister, qui, ach, kolossale daube, testent plein de plug-in sur un machin tribal drum’n’bass totalement dépourvu d’intérêt. Ça s’appelle « Deep shit » et ça porte bien son nom … Y’a aussi un vieux funk très seventies de Freak Power, sympathique sans plus, mais un peu hors-sujet. Hors-sujet aussi, un titre de Tricky, très bon lui, mais totalement trip-hop et qui n’a rien de cool (d’ailleurs Tricky n’a jamais rien fait de vraiment cool, c’est un vrai méchant, lui …).
Portishead en pleine crise de fou rire
Bomb The Bass, avec un titre remixé et le featuring d’un rappeur jazzy est juste passable … Coldcut  fait avec ses boucles groovy intéressantes beaucoup mieux que ce que le teuton titre « Eine kleine hed music » laisse présager…
Reste quand même en plus de Leena Conquest, un bon titre peu connu de Portishead plus « léger » et moins oppressant que ceux qu’ils livraient à cette époque-là (« Revenge of the number »), un Beastie Boys de leur meilleure période (« Get it together » extrait de l’album « Ill communication »), et cocorico, MC Solaar, habitué de ce genre de compiles (il est aussi sur les Jazzmatazz), avec une version courte (single ?) de son « Nouveau western » qui sample davantage le « Bonnie & Clyde » de Gainsbourg que du jazz, mais qui bénéficie comme presque toujours à ses débuts des textes travaillés de Solaar …
En conclusion, une compile dans la norme de toutes celles qui regroupent autour d’un genre musical identique des artistes différents : les « stars » ressortent forcément du lot et les « inconnus » démontrent pourquoi ils le sont …


BASEMENT JAXX - REMEDY (1999)


Vendre des disques de techno ?

Les technoïdes ont toujours eu un problème avec les courbes de vente, se sont toujours posé des questions métaphysiques du genre : peut-on objectivement prétendre à l’avant-garde musicale et voir ses disques à côté de ceux de Sting ou Madonna dans le Leclerc du coin ? Et durant l’essentiel des années 90, le microcosme electro se gargarisa d’artistes prétendument incontournables … et inconnus d’à peu près tout le monde.
La réponse vint à la fin de la décennie d’un peu partout, et aussi, fait rarissime dans les annales, de France, avec les cartons commerciaux et internationaux de Air ou Daft Punk qui n’avaient pas grand-chose à envier aux succès de Moby ou Fatboy Slim. Et même si quelques puristes de la musique des joueurs de disquettes firent la moue, les faits étaient têtus, on pouvait faire de la « techno » au sens large, rester « crédible » et vendre du disque.
Basement Jaxx : et on fait tourner les serv ... les disques
La boîte de Pandore était dès lors ouverte (d’où allaient finir par sortir des Guetta, Solveig et consorts, mais c’est un autre problème), et il n’y eut plus de honte à faire de la musique electro « grand public ». Parmi les premiers à sortir du placard, Simon Ratcliffe et Felix Burton, le duo anglais Basement Jaxx. Dont ce « Remedy » est le premier Cd, après quelques obligatoires remix et maxis.
C’est pas élitiste, c’est sûr, pas très original non plus (les deux premiers titre dont le hit « Rendez-Vu » doivent beaucoup au son « vintage » compressé de Daft Punk), c’est juste fait pour attirer le plus de monde possible vers la piste de danse et accessoirement le tiroir-caisse. D’un autre côté, c’est pas sournois, c’est clairement revendiqué être fait pour. Alors ça a un petit côté festif, ensoleillé, chaloupé tout en restant martial et répétitif, funky à la Janet Jackson, Rihanna ou Beyoncé (c’est pas un compliment) comme le second gros succès du disque « Red alert », qui a fini dans la BO des Visiteurs 2, 3 ou 10, j’sais plus.
Il y a dans ce « Remedy » des choses anecdotiques, une tendance un peu trop visible à mettre en avant des gimmicks de violons manouches (« Stop 4 love »), des emprunts aux salseros sud-américains qui préfigurent les funestes Gotan Project et leur pillage en règle du tango (« Bingo Bango »), …  Il y a un acharnement à faire intervenir moultes chanteuses vaguement soul, une tentative ridicule de rap (« Don’t give up », rien à voir avec le duo de Peter Gabriel et Kate Bush) au cas où un minot à casquette à l’envers traînerait dans le coin ...
Bref, ça ratisse large, souvent un peu dans le vide, mais c’est pas désagréable, c’est juste … centriste (tiens, y’a longtemps que je l’avais pas placé celui-là), tout ça n’arrive pas à la cheville de « Dancing Queen » d’ABBA.
Ah si, j’oubliais, y’a un titre que je trouve vraiment bien, avec des slogans hurlés-rappés, des hurlements de femelles en rut, ça s’appelle « Same old show » et ce serait très bien dans la BO d’un Marc Dorcel … Comment ça j’ai l’esprit vulgaire ? Pas du tout, un film avec Clavier et Reno, c’est beaucoup plus vulgaire qu’un porno …
Bon, ben voilà … cette chronique ne pouvait finir qu’en sucette avec cette pochette de disque partouzarde …


XTC - APPLE VENUS VOLUME 1 (1999)


Smile ?

Pour faire simple, on dira que XTC est un groupe compliqué. D’ailleurs, tout juste si c’est un groupe, ils sont que deux. Euh, même pas d’ailleurs, un et demi sur ce disque…
Bon, je reprends.
A la fin des années 70, parmi les centaines de groupes apparus en Angleterre avec l’étiquette punk ou new wave, XTC faisait partie de la dizaine que tout le monde citait comme un futur « grand ». Un single colossal (« Making plans for Nigel »), le genre de babiole qu’on n’écrit pas par hasard, des albums et des ventes en progression constante. Deux figures de proue, Andy Partridge et Colin Moulding, qui se partageaient l’écriture, le premier étant un peu plus prolifique. Et puis, en 82, alors que le groupe s’apprête à monter sur scène lors d’un concert parisien, Partridge flippe, fait un malaise, finit à l’hosto … Plus personne ne verra jamais XTC sur scène, les rumeurs sur l’état de santé de Partridge à ce moment entretenant depuis la « légende » (hyper-stress ? crise d’hépatite ? les deux ?).
Dès lors XTC n’enregistrera plus qu’épisodiquement, entrecoupant de longues périodes de silence de projets parallèles (Dukes of Stratosphear, …), le groupe se réduira aux seuls Partridge et Moulding, et les compositions de Moulding se raréfieront de plus en plus. Absent des planches et peu enclin à tout le business de promo, XTC finira par devenir un groupe culte, avec les ventes qui vont avec. A tel point que la major qui les hébergeait (Virgin), finit par les « remercier » au milieu des années 90. Ce groupe qui s’entête à ne vouloir faire paraître que des disques meilleurs que les précédents (et qui y réussit souvent), se voit obligé de monter son propre label (Idea Records).
XTC 1999, Partridge en avant, Moulding en retrait ...
« Apple Venus Vol 1 » (il y aura l’année suivante un Volume 2, qui sera le dernier disque de XTC, Partridge ayant annoncé la dissolution après que Moulding ait « raccroché » vers le milieu des années 2000) est un disque fou, unique. Pesé, pensé, peaufiné à l’extrême. Peut-être bien leur meilleur en tout cas. XTC, c’est depuis le début de la pop haut de gamme, des gens qui placent au-dessus de tout les orfèvres en la matière, les Beatles. Mais aussi tous ceux qui se réclament des Fab Four. C’est pas les seuls dans ce cas, mais sur la durée, certainement sont-ils parmi les plus crédibles.
D’entrée, l’intro de « River of orchids » est un truc inouï. Des gouttes d’eau pour faire la rythmique, des notes de violons pizzicato, et puis lentement tous les instruments se mettent en place pour une chanson pop baroque parfaite, et dès ce premier titre, la barre est placée très haut. « I’d like that » et « Easter Theatre » qui suivent sont encore meilleurs, le premier synthétisant toute la quintessence de la meilleure pop anglaise des 60’s (l’axe Beatles – Kinks pour faire simple), le second ajoutant aux instruments rock « traditionnels » cuivres et cordes sans que, miracle, cela sonne surchargé ou pompier. Trois titres signés Partridge, seuls deux revenant à Moulding sur les onze du Cd. Certainement pas un hasard, Moulding est presque déjà « ailleurs », et les deux titres qu’il livre sont les deux « moins bons » (enfin, à ce niveau, tout est relatif).
Bon, des Cds qui commencent bien et qui partent en sucette au fil des plages, c’est presque la norme. « Apple Venus … » maintient tout du long de ses cinquante minutes un niveau exceptionnel. Que ce soit construit sur une trame percussive complexe à la Peter Gabriel quand il faisait des bons disques vers 1980, égayée par un gimmick mélodie enfantine + flûte comme le « Dawn of the dreads » de Arrested Development (« Green man »), ou au contraire plutôt dépouillé (« Your dictionary »), il y a chez XTC un sens du travail du détail qui impressionne. Et bien souvent un travail qui va à l’encontre de ce à quoi on s’attend. Témoin le dernier titre de presque sept minutes, le plus long de l’album, ballade triste et lente, et que comme d’habitude dans ce genre d’exercice, alors que l’on s’attend à la voir virer épopée wagnérienne pompeuse (double pléonasme), XTC prend le contre-pied en maintenant cette atmosphère dépouillée jusqu’à la fin.
Et puis, il y a un titre (« I can’t own her ») qui par sa construction, ses harmonies vocales, son parti-pris orchestral, évoque furieusement les Beach Boys de « Pet sounds ». Bon, « Apple Venus » n’est pas « Pet sounds », les analogies avec le monument de Brian Wilson qui voulait battre les Beatles sur leur terrain (et accessoirement l’a réussi) sont, hormis sur ce morceau, peu nombreuses.
Mais je sais pas, il y a ce petit quelque chose subjectif, inconscient, qui me fait envisager ce « Apple Venus » comme une suite plausible à « Pet sounds ». Tout à l’opposé de « Smile », la bouillasse prétentieuse que livrera Brian Wilson au début des années 2000, prétendant qu’il s’agissait là de la recréation du projet fou qui avait fini par lui calciner le cerveau en 1967.
Voilà, c’est çà … « Smile » des Beach Boys existe. Ça s’appelle « Apple Venus Vol. 1 » et c’est XTC qui l’a fait …

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English Settlement


EARTHLING - RADAR (1995)


Echos très favorables ...

Allez, un petit tour chez les joueurs de disquettes et assimilés … et tant qu’à faire, parce que de ces choses-là point trop n’en faut, chez les plus audibles du lot, la scène de Bristol du milieu des années 90. Vous situez, le trip-hop, ces joyeux drilles, tous ces dépressifs qui faisaient du dub ou de la soul au ralenti … Massive Attack d’abord, ensuite Portishead et Tricky … le trio majeur passé à la postérité …
Earthling live 20111
Ben y’avait pas qu’eux. Faut rajouter Earthling à la liste. Certes les moins connus (trois disques en presque vingt ans, dont le dernier l’an passé alors que tout le monde les croyait disparus à jamais, on peut pas dire qu’ils aient publié à des cadences infernales), mais auteurs d’un skeud, le « Radar » dont au sujet duquel je vais vous dire trois bricoles, qui doit figurer dans la poignée de Cds de trip-hop qu’on peut se laisser aller à écouter … de temps en temps, voire plus souvent, si affinités …
Déjà, au lieu de se distinguer avec du reggae-dub (Massive Attack), de la soul froide blanchie (Portishead),ou des trucs bizarres (Tricky), Earthling mélangeait aux ingrédients de base (tempos enfumés et ralentis, infra-basses, boucles et scratches) … du rap. J’entends déjà les cris de joie genre « du rap en plus du trip-machin, putain quelle misère, il en est réduit à causer de çà le Lester, ben, je vous dis, il est tombé bien bas, il file un mauvais coton là … ». Bon, partez pas, je vous dis que c’est bien …
Et même très bien. Surtout d’entrée de disque avec « 1st Transmission » (leur premier single) qui prend son temps pour installer la marque sonore du groupe (enfin groupe, ils sont deux et demi), alignant des séquences d’infra basses droit au plexus, avant que le rappeur Mau se pointe avec son flow traînard, à faire passer Doc Gyneco pour Little Richard. L’enfumé « Nefisa », un peu plus alerte, l’ambiance orientalisante de « Soup or no soup » (peut-être bien le meilleur titre du disque), la superbe voix de la guest Sarah Matthews sur « I still love albert Einstein », l’anti-machiste et anti-viol « Planet of the apes », et l’ultime et lentissime, teinté de blues et de jazz « I could just die » se détachent par leur originalité, et osons le mot, par leur beauté d’un ensemble homogène.
Le reste, loin d’être indigne, donne quand même l’impression de redite ou d’auto citation, marque moins les esprits, quelques titres lorgnant même effrontément vers Massive Attack ou Portishead (c’est pas qu’ils soient mauvais, ces titres, mais c’est du déjà entendu, et puis y’a le gars Geoff Barrow de Portishead qui traîne sur quelques plages de « Radar », ceci expliquant cela).
Verdict, évidemment sans appel : « Radar » est un chef-d’œuvre, à ranger à côté de « Blue lines » et « Dummy ».
A tout de même déconseiller aux dépressifs à tendance suicidaire …

BEIRUT - GULAG ORKESTAR (2006)


Le temps des Gitans ?

Beirut, c’est un sacré truc zarbi. Un concept, ou au choix un faux groupe, derrière lequel se cache un ado américain, Zach Condon. Condon est un minot qui tout seul dans son coin, en utilisant une kyrielle d’instruments dont certains plutôt exotiques (accordéon, trompette, ukulelé, plus toute une panoplie de claviers et synthés), a fait le meilleur disque manouche depuis (qui a dit Thomas Dutronc ? attention, je vais me fâcher, là) … depuis, j’en sais foutre rien (ça y est, j’ai réussi à placer foutre et Condon dans le même paragraphe, j’suis content de moi, là …), parce que c’est pas le genre de trucs que j’écoute (qui a dit Kusturica ? n’aies pas peur, tu dois avoir raison …).
Bon, je reprends, et faudra que pense à arrêter de picoler avant d’écrire des coms, ça va finir par se voir que je suis pas à jeun … Donc, le gamin Condon, qui avait pourtant largement de quoi satisfaire ses goûts pour le folk antique dans son Amérique natale, est parti pendant plusieurs années tracer la route en Europe, et plus particulièrement dans cette région que l’on appelait autrefois Mitteleuropa (l’Autriche-Hongrie, la Prusse), poussant des pointes vers les Balkans et une visite en Irlande. Et c’est la vieille musique de ces endroits-là qu’il nous ressert. Qui n’a rien à voir avec les chansons populaires ( ? ) des teutons à quelque fête de la bière, mais une musique remplie des sonorités les plus plébéiennes, rurales, de ces contrées. En gros, les tziganes, roms, et autres gitans.
Evidemment, personne n’attendait ce disque. A l’origine de onze titres, très rapidement les versions Cd ont rajouté les cinq titres d’un EP (« Lon Gisland ») paru dans la foulée, et qui n’apporte pas grand-chose, si ce n’est un instru celtisant qui semble un peu perdu et hors-sujet dans le contexte.
Dès les premiers titres, on se dit que « Gulag Orkestar » est génial, avec ses ambiances tziganes, ses chœurs lancinants (« The Gulag Orkestar » le titre), ses ambiances bavaroises tristes (« Prenzlauerberg »), et ses mélodies parfois enjouées (« Brandeburg », et surtout « Postcards from Italy », pour moi d’assez loin meilleur morceau de l’album).
Au bout de quelques titres qui ont tendance à furieusement se ressembler (mêmes tempos, mêmes orchestrations, mêmes arrangements, même façon pour Condon de placer sa voix, …) on se dit que c’est quand même un peu toujours pareil, et que ça commence à devenir lassant.
On est finalement soulagé quand ça s’arrête, parce que ce bousin finit par gonfler grave, toutes ces variations infimes sur le même thème …
Un disque finalement révélateur d’une époque, où il semble que tout a déjà été dit et entendu mille fois, et où la moindre idée, la moindre trouvaille, le plus petit gimmick, sont montés en épingle pour qu’ils apparaissent au pékin d’auditeur qui ne sait plus où donner du conduit auditif, comme la trouvaille du siècle émanant d’un génie en devenir de la chose musicale. Et même si le rendu n’a pas grand-chose à voir, je trouve le résultat assez proche dans l’esprit de ce que font quelques autres hâtivement qualifiés de surdoués, comme les surfaits Sufjan Stevens ou Kevin Barnes, le type de Of Montreal … des gars qui semblent avoir tout dit après un enchaînement de quelques bons titres, et qui se répètent jusqu’à l’écœurement…


THE JAM - IN THE CITY (1977)


Les teigneux ...

La France et les Jam, on peut pas vraiment appeler ça une histoire d’amour. Ils ont dû avoir de quoi juste se payer un cappuccino (la boisson favorite de Weller), avec le bénef de leurs ventes de disques par ici. Faut dire que les groupes plus typiquement anglais qu’eux (les Kinks, les Smiths, c’est à peu près tout …), ça court pas les rues et ça restreint forcément l’audience « à l’étranger ». Par contre, pendant un lustre (77 à 82), ils ont mis leur pays à genoux (on parle pas là de chiffres de vente sympathiques, mais de popularité mesurée à l’échelle Beatles-Oasis), leur leader maximo Paul Weller, se voyant même désigné par les lecteurs d’un mag musical de là-bas personnalité préférée de l’année ou quelque chose comme çà…
Paul Weller, ce psycho-rigide maniaque, et qu’il valait mieux ne pas croiser quand il avait autre chose que son cappuccino dans le gosier. Un type quand même respectable et respecté… faut dire qu’il avait été le seul à foutre une branlée à l’autre taré de Sid Vicious, spécialiste de traîtres passages à tabac (surtout quand il avait quelques potes pour assurer ses arrières). Et musicalement, Weller était aussi teigneux que dans la vie. Bien accompagné par les deux bûcherons Bruce Foxton à la basse et Rick Buckler à la batterie. Enfin, bûcherons c’est pas gentil parce que les trois deviendront vite un power trio efficace, concis et compact.
Pour ce « In the City », leur premier disque paru en 77 année punk, l’heure n’est pas (faute de moyens et de technique) aux fanfreluches musicales. C’est énervé et austère, à l’image de la pochette qui n’est pas signée Roger Dean ou Hipgnosis, on s’en rend compte au premier coup d’œil. Et en un peu plus de demi-heure, les Jam lâchent leurs premiers douze titres.
Dont un, l’éponyme « In the City », sera le premier (et seul sur ce disque) titre des Jam à visiter les hit-parades. Un des classiques absolus du groupe et de la vague 77. Weller, qui chante, joue de la guitare et compose tous les titres originaux du trio, laisse transparaître d’évidentes influences, au premier titre desquelles les Who (flagrant sur des morceaux comme « Away from the numbers » (rien que le titre, les High Numbers étant le premier nom des futurs Who), « I’ve changed my adress », la reprise du thème de Batman, qui n’est pas des Who mais qu’ils ont aussi repris). Mais aussi peut-on déceler au passage d’autres influences des sixties anglaises (les Small Faces la légende mod, la pop en général, …), et des classiques du rock’n’roll (la reprise du « Slow down » du très sous-estimé et génial Larry Williams).
C’est cette attirance pour la culture mod, pour l’exposition de ses racines anglaises (dès que le groupe progressera, la northern soul anglaise des sixties se retrouvera au détour de nombre de morceaux), qui donneront aux Jam cette place si particulière de groupe en même temps new wave (les Jam sont partie intégrante de la scène punk londonienne), mais aussi revivaliste (on ne laisse pas planer impunément au détour d’un paquet de titres les ombres de Townsend ou Marriott). Weller et son groupe assumeront pleinement ces deux influences. Ils cultiveront méticuleusement l’imagerie mod, les costards étriqués (Foxton en plus ne se départissant pas tout du long des cinq années que dureront les Jam de son affreuse coupe de cheveux « mulet », et Buckler finissant par s’habiller ridiculement de simili-cuirs et de jeans premier prix de chez Prisu), on les verra sur moultes photos de presse chevauchant des scooters dans le plus pur style mod-plage de Brighton 1963). Weller sera l’archétype même du « working-class hero » lennonien (un titre auquel malgré tous ses efforts ne pouvait prétendre le Beatle binoclard, contaminé arty par la présence à ses côtés de l’insupportable Yoko). Weller sait d’où il vient (son père était maçon, voir le dernier titre du disque « Brick and mortars »), et malgré des ventes de disques considérables, restera au plus près du « peuple » et de ses préoccupations, et sera un militant travailliste acharné (il sera plus tard le co-fondateur du Red Wedge, réunissant les artistes anti-Thatcher, et soutiendra par sa présence et par ses dons nombre de luttes sociales dans son pays).
Paul Weller est assurément un type bien, et ce « In the City » reste un des préférés des Jam-maniacs, même si la triplette « All mod cons » - « Setting sons » - « Sound affects » parue entre 78 et 80, constituera son zénith artistique. Il continue encore aujourd’hui, à plus de cinquante ans, et en ayant dissous des Jam en pleine gloire, une carrière solo inégale mais encore par moments capable de générer de superbes disques …

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