DON McLEAN - AMERICAN PIE (1971)


The day the Music died ...

C’est bien simple, il a fallu que j’aille vérifier sur le Net si Don McLean était toujours vivant (il l’est, merci pour lui), et j’ai découvert avec surprise qu’il continuait encore à faire des disques. Faut dire qu’on n’en entend pas trop parler, de celui-ci, et encore moins de ce côté-ci de l’Atlantique.
Don McLean a eu son warholien quart d’heure de gloire au début des années 70 avec ce disque. Un quart d’heure de gloire tout de même assez monumental, car tous les chiffres qui concernent ce disque s’égrènent au moins en millions (les ventes, les passages radios des singles). Avec les trente six minutes de ce « American Pie », McLean s’est mis à l’abri du besoin, et évitera bien des soucis de fin de mois à sa descendance pour plusieurs générations…
Evidemment, on pourrait résumer ce disque à son morceau-titre. Une épopée folk de plus de huit minutes ayant comme point de départ « the day the music died », le 3 Février 1959, jour où ont péri dans un accident d’avion Buddy Holly (idole de McLean), Ritchie Valens et le Big Bopper. Ce titre est l’occasion pour McLean de donner une vision toute poétique des rapports de la musique avec la société américaine, de l’insouciance de la fin des 50’s aux prises de position utopistes, militantes et engagées des sixties, jusqu’au réveil douloureux et désabusé du début des années 70. Tout en restant assez elliptique (peu de noms sont cités, il faut se contenter d’allusions évidentes à James Dean, Elvis, les Beatles, les Stones, Dylan, les Byrds, …), et McLean s’est toujours refusé à commenter et éclaircir ses paroles. Ce « American Pie », avec sa mélodie irréprochable est pour moi le sommet de ces titres folk « héroïques » à la durée démesurée, genre dans lequel concourent des choses aussi célèbres que le « Wooden ships » (Crosby, Stills & Nash, et Jefferson Airplane) ou le « Sad eyed lady of the Lowlands » de Dylan (une face entière de vinyle, la dernière, de « Blonde on blonde »).
Mais McLean, apparemment en état de grâce, ne s’est pas arrêté là. Ce « American pie » est parfait de bout en bout, une sorte de synthèse de tous les courants de la musique folk apparus jusque là. Et avec beaucoup de choses qui font penser aux Anglais. Il y a dans la pureté mélodique, dans la finesse et la richesse des arrangements, beaucoup de choses qui renvoient à Bert Jansch, Fairport Convention, Donovan, Cat Stevens, Nick Drake, voire Syd Barrett … Dylan (difficilement contournable dès lors que l’on est américain et que l’on fait du folk) est aussi de la revue à travers « Everybody loves me, Baby ». Titre troublant, tout le Zim de « Highway 61 revisited » est là, jusque dans les inflexions vocales, surprise assurée au jeu du blind-test… Et tous les folkeux « mélodiques » américains, de Paul Simon à James Taylor se retrouvent au détour d’une intonation, d’une mélodie, d’un arrangement …Des choses comme « Vincent » (hommage à Van Gogh) sont parfaites, et le final du disque, qui fait cohabiter son dépouillé et montées lyriques (« The grave », « Babylon ») annonce avec plus de vingt ans d’avance les ambiances frissonnantes d’un Jeff Buckley …
Ce succès colossal, autant artistique que commercial, restera à peu près sans lendemain, Don McLean n’ayant pas voulu (ou pas été capable selon les sources), d’assumer le statut de superstar qui se dessinait pour lui.

PJ HARVEY - STORIES FROM THE CITY, STORIES FROM THE SEA (2000)


Bien sage ...
Elle évolue, Polly Jean … elle quitte la verte campagne anglaise pour la jungle de béton de New York. Et comme si elle ne se nourrissait que de contrastes, le déferlement urbain provoque chez elle un disque étrangement apaisé …
Polly Jean a ramené des souvenirs des USA
Enregistré en petit comité (P.J., Mick Harvey, Rob Ellis), en trident rock basique, juste agrémenté par du piano ou des synthés discrets. Mais ici tout au service de compostions linéaires, assagies, ne dérapant pas dans ces bouffées de violence crue qui rendaient indispensables les « Dry » ou « Rid of me » du début de sa carrière. Un titre comme « Beautiful feeling » charrie une ambiance lourde et tendue à la Doors, et on attend une explosion de rage ou de décibels qui n’arrive pas … La musique de P.J. Harvey est policée, élégante, jolie mais convenue… Des titres sont construits exactement de la même façon (« Big exit », « Good fortune », « This is love ») et autant les deux premiers sont anodins, autant le supplément d’âme, d’implication qu’on trouve dans « This is love » réussissent à en faire un grand morceau de P.J. Harvey … le petit détail qui transforme tout.
Polly Jean sert avec ce « Stories … » un disque plaisant, destiné à l’installer définitivement dans la cour des grandes, qui n’ose sortir des sentiers battus et balisés du rock mainstream que vers son final, quand P.J. se lâche un peu. Avec « This is love », «  You said something », excellent titre qui évoque les Pretenders de la grande  Chrissie Hynde, jusque dans la voix de Polly Jean, et surtout « Horses on my dream », où ne serait-ce que par l’évidence de son titre, ressurgit l’ombre tutélaire de Patti Smith.
Le reste, ce duo avec Yorke où P.J. ne semble qu’accompagner l’endive chantante, ces morceaux à la U2 (« We float »), ces minauderies à la Björk - Radiohead (« A place called home »), … si on écoute P.J. Harvey, c’est justement parce que ça ne ressemble pas à ces trois-là…
Il faut cependant être juste, et reconnaître qu’on aimerait bien entendre plus souvent des disques de rock centriste aussi ratés que celui-ci … Mais de P.J. Harvey, on pouvait raisonnablement espérer beaucoup mieux …



LOUIS PRIMA - THE WILDEST (1956)


Juste un rigolo ?

Là, j’suis dans le rouge, j’vas causer jazz … ou plutôt de ce disque de Louis Prima, ce qui est pas pareil. D’ailleurs, je sais même pas si c’est du jazz, Prima. Les « puristes » doivent pas trop l’aimer, Prima… pas assez chiant.
Parce que « The Wildest », c’est frais, sympa, et surtout festif. Même un lundi matin, ça peut mettre de bonne humeur. Et puis, il y a sur ce disque des trucs tellement connus, qui sont rentrés dans l’inconscient collectif, que ça dépasse les genres, les codes, les barrières et les clans… Tiens « Just a gigolo », tout le monde connaît. Et bien, c’est de Louis Prima. Et c’est bien mieux par Prima et son band que quand David Lee Roth ou Carlos (putain, Carlos !) le reprennent. Sur ce « Wildest » de 1956, il y a le version définitive de ce titre qu’il avait créé presque trente ans plus tôt et qu’il a passé sa vie à réenregistrer.
Louis Prima, Keely Smith, et un inconnu ...
Prima a aussi passé sa vie à se marier et remarier, tel une Liz Taylor à trompette. Et ses femmes, il les faisait turbiner. Sa moitié à cette époque-là, Keely Smith, l’accompagne au chant sur ce disque. Le duo casse la baraque sur un « Nothing’s too good for my baby », autre titre hyper connu du disque. Au moins autant que « You rascal you », qui n’est pas de Prima, repris un nombre incalculable de fois par les big bands jazzeux mais pas seulement (en France, ça a donné « Vieille canaille » par Gainsbourg, Mitchell, et d’autres …).
Et puis ne pas croire que ce joyeux bordel, cet orchestre qui dérape, qui va chercher des arrangements à la limite de la justesse et du mauvais goût, est en roue libre. Non, non, on sent que tout çà ne doit rien à l’improvisation, a été longuement réfléchi et répété, dans l’esprit de tous ces big bands spectaculaires au sens premier du terme des années 40 et 50 (Cab Calloway, Count Basie, Lionel Hampton, Duke Ellington, …). De l’entertainment, point barre … Et du sérieux aussi, quand il s’agit de reprendre sans dénaturer des classiques de Louis Armstrong, auquel on a souvent comparé Prima. Prima qui était une star incontournable et tout public, devenant même un des personnages du « Livre de la Jungle » de Walt Disney (c’est lui et son band qui sont représentés à travers l’orchestre de singes, et c’est lui qui chante vraiment sur ce titre).
Ce genre de musique, jazz peut-être, mais surtout fun et léger, a quelque peu disparu de la circulation il me semble. C’est un jeunot venu du rockabilly roots, Brian Setzer, qui le remettra à l’honneur avec son Brian Setzer Orchestra …
Curieusement, ce « Wildest », pourtant pièce de référence de son auteur, est actuellement assez difficile à trouver, peu souvent réédité, mais quand c’est le cas avec des bonus, qui chose assez rare pour être soulignée, sont à la hauteur des titres initiaux …


SCORPIONS - LOVE AT FIRST STING (1984)


Plus très venimeux ...

C’est à partir de ce disque que les fans de la première heure et les accros de « Tokyo Tapes » ont commencé à se méfier. Et avec le recul des ans, se pose THE question : « Love at first sting » est-il le premier d’une longue série d’enregistrements soit pas bons soit mauvais, ou bien est-il plutôt le dernier d’une série de bons disques du groupe.
Klaus Meine n'a pas de guitare ... bientôt il n'aura plus de cheveux ...
Ce Cd n’est en tout cas pas pire que ceux que sortaient les têtes d’affiche du classic hard, et réussit sur le fil du rasoir un improbable équilibre entre la tentation FM (avec en ligne de mire le succès aux USA) et la pression vraiment hard. Les morceaux sont mélodiques, les guitares omniprésentes et le vieux complice Dieter Dierks réalise des prodiges tout au long d’une production impeccable, et sauve quelque peu de l’écroulement une baraque qui commence à tanguer sur ses fondations.
Et puis il y a bien sûr « Still loving you », la meilleure ballade des Scorpions qui cette année-là (1984) disputera le titre de slow de l’année à rien moins que le « Purple rain » de Prince, dans le même style rétro-seventies. Effet pervers, les Teutons se sentiront dorénavant obligés de mettre une scie gluante (« Wind of change » sur le suivant, et d’autres dont je ne veux rien savoir) sur tous leurs Cds …
Le succès de « Love … » sera colossal, boosté par une tournée mondiale exceptionnelle en terme de succès populaire. Non, vraiment , avec « Love at first sting », les Scorpions n’avaient pas encore « trahi ». Ils inventaient juste le hard centriste …

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JANET JACKSON - RHYTHM NATION 1814 (1989)


Fouquet's sonore

Je me souviens … c’était avant que l’Internet tout-puissant et à la portée de tous soit là pour véhiculer l’information (ou répandre les rumeurs les plus débiles, au choix). Et donc en ces temps lointains, ce qui faisait le buzz, c’était la presse trash. Il s’était trouvé quelque torchon où quelque paparazzi se targuant de musicologie avait révélé ce scoop : Janet Jackson ne faisait pas de disques. Les disques de Janet Jackson n’étaient rien de plus que des disques de son frangin dont la voix était pitchée. La preuve ? Prince avait déjà fait le coup sur son album « Sign the times » avec son pseudo-« double » Camille …
Une pervenche ? Meuh non, Janet Jackson ...
Certains, à l’imagination sans limites, s’engouffrèrent même plus loin dans la brèche, affirmant que Janet Jackson n’existait point, et que ses apparitions physiques n’étaient que celles de son  Michael de frère, grimé tel un Tony Curtis dans « Certains l’aiment chaud »… Bon, on se calme, là, Janet Jackson existe bel et bien, malheureusement pour nos oreilles, et ce n’est pas un avatar féminin du Fred Astaire grisâtre des années 80.
A contrario, d’autres, dans de sérieuses revues musicales ayant pignon sur rue, trouvaient que la cadette des enfants de Joe était l’élément le plus doué de la famille … Euh, faut pas déconner non plus … Tout au plus peut-on lui accorder qu’elle avait gentiment rué dans les brancards, quittant le lourd giron familial pour passer chez l’« ennemi », du côté de Minneapolis, dans la galaxie Princière, plus précisément les studios de Jimmy Jam et Terry Lewis. Avec lesquels elle avait obtenu un gros succès, le disque « Control », sympathique machin dansant et funky, mais dont on peut se demander si sans son très bankable patronyme à elle, il se serait vendu à autant de millions d’exemplaires.
Et donc, selon le sacro-saint prétexte du « on ne change pas une équipe qui gagne », re belote avec ce « Rhythm Nation 1814 » (pourquoi 1814 ? je n’en sais foutre rien et je m’en tape …), la Janet, Jam et Lewis poursuivent leur collaboration. Et là, on devine le budget de prod à peu près illimité. Ce disque est pénible, interminable étalage d’effets sonores qui partent dans tous les sens, de titres où s’entrechoquent des empilages de synthés, boucles, de chœurs, d’arrangements bien trop clinquants pour être honnêtes. On a du pognon, du temps à perdre en studio, on vous en fout plein les oreilles, on va chercher des trucs dans la techno, le rap, le rock, la soul, le funk, on te vous mélange tout çà grossièrement … et on scrute après les courbes de vente et les retours sur investissement. Un disque qui pue le fric et une certaine forme de mépris de l’auditeur …
Qu’y a t-il pour sauver ce kouglof sonore ? A mon humble avis, pas grand-chose. La Janet n’est pas ce qu’il est convenu d’appeler une voix, son piaillement tout dans les aigus finit vite par gonfler grave, il n’y a aucune direction musicale, on pioche des gimmicks, des sons dans l’air du temps, on tente ce crossover multi-genres qui a si bien réussi à frérot Michael, des morceaux dansants mais d’une pauvreté mélodique qui frise l’indigence, un rock à guitares (« Black cat ») grossièrement hard FM, une triplette de ballades sans conviction jetées à la fin du disque …
Résultat des courses : huit morceaux sortis en single, quatorze millions de disques vendus dans l’année … La routine, quoi …



KINGS OF LEON - AHA SHAKE HEARTBREAK (2004)


Confirmation ...

Un groupe américain qui joue du rock’n’roll. A priori c’est logique. Ce sont les Américains qui l’ont inventé, le rock’n’roll. Sauf que depuis quelques temps, ils semblaient avoir perdu la recette, ou alors c’étaient des types de cent ans qui s’y collaient, tous ces Petty, Springsteen, et autres Seger, antiques vestiges des roaring seventies …
Les Kings of Leon ont repris le flambeau là où l’avaient laissé Creedence, les Allman Brothers, Lynyrd Skynyrd, les Black Crowes, … Apparus au début du siècle avec un album inaugural parfait, et portés par une vague annoncée comme salvatrice d’où émergeaient Strokes, White Stripes et autres Libertines, les Kings of Leon ont confirmé un talent prometteur et continuent sur la lancée avec ce second disque.
Ce « Aha Shake Heartbreak » est un hymne au rock’n’roll way of life et fleure bon les alcools forts, les drogues dures et les filles faciles.
A consommer sans modération ( … le disque. Pour le reste, c’est vous qui voyez …).
Evidemment, il est un peu moins bon que leur premier, l’indépassable « Youth and young manhood ». Qui, vu la tournure que prennent les choses (chaque disque de la tribu Followill est en gros moins bon que le précédent), risque fort de rester comme leur pièce maîtresse …

RITCHIE VALENS - THE VERY BEST OF (2002)


One hit wonder ...

Ils ont peur de rien, et surtout pas du ridicule … Baptiser ce Cd « The very best of », alors que de son vivant Valens n’avait sorti que deux 45T, je veux bien, mais y’a quand même comme un léger foutage de gueule, là …
En fait, c’est pas loin d’être une intégrale, dont tout n’est pas si « very best » que ça … 
Car qu’en serait-il advenu de celui-là, s’il n’avait pas eu la mauvaise idée de monter dans le même coucou que Buddy Holly, le Big Bopper et quelques-uns de leurs musicos ? Un Luis Mariano d’opérette rockabilly, un Elvis mariachi, ou bien comme tant d’autres aurait-il disparu de la circulation après un unique hit ? The answer, mes friends, elle doit être blowin’ in the wind, plutôt que dans les notes du livret, qui fait de Valens une superstar en devenir …
Ritchie Valens, c’est « La Bamba », titre réarrangé façon early rock’n’roll, et dont les origines viendraient d’un chant traditionnel mexicain. Enorme succès fin 58, quelques semaines avant la mort de Valens, alors que le morceau n’était que la face B d’un 45T (face A : « Donna », sirupeuse ballade, qui profitera de l’aubaine pour également bien figurer dans les charts). Rebelote en 87, quand un biopic flatteur (pléonasme), remet Valens dans l’actualité, surtout grâce à l’énorme succès une fois encore de « La Bamba », cette fois reprise par Los Lobos, dans une version qui surclasse l’originale.
Parce que si l’on peut mettre au crédit de Ritchie Valens que c’était un auteur et un guitariste tout juste passable, il faut aussi reconnaître que malgré une bonne volonté et un entrain juvénile assez communicatifs, il chante à la limite de la justesse, et compose sans grande originalité, se contentant le plus souvent de recopier le style de ses amis et (ou) concurrents. Comment ne pas voir dans son premier 45T « Come on let’s go », juste un décalque du style Buddy Holly, ou dans « Ooh my head » une imitation limite vulgaire tant elle mauvaise de Little Richard . Peut-on raisonnablement s’extasier de quelques instrumentaux vaguement bluesy, du pataud Diddley beat de « Rockin’ all night », de la plus mauvaise adaptation que je connaisse de la nitroglycérine rythmée « Bonie Maronie », ou d’un final de Cd rempli de ballades poisseuses ?
Le succès aussi bref que quelque peu démesuré de Valens n’est pas que le fait du hasard ou d’un heureux concours de circonstances. Un malin directeur de label, Bob Keane, saura vendre (y’a pas d’autre mot) son poulain. Dans le rock’n’roll naissant, les Blancs ont leurs idoles, les Noirs aussi. Valens sera le héros swinguant de tous les autres métèques laissés pour compte dans le Sud américain, toute cette communauté hispanique ou chicano qui s’identifiera au jeune hidalgo chantant. Ce n’est pas un hasard si « La Bamba » est un titre totalement en espagnol, il y a derrière le gosse Ritchie les prémices de ces opérations marketing « ciblées » visant une tranche spécifique du public. Ritchie Valens n’est pour moi qu’un « produit » destiné à une minorité ethnique, avec toutes les arrière-pensées perverses que l’on peut imaginer en filigrane…
Juste peut-on regretter que ce gamin n’ait pas vécu assez longtemps pour profiter un peu de son succès…

UFO - STRANGERS IN THE NIGHT (1977)


Et pourtant c'est un bon live ...

Rarement disque en public aura vu le jour sous des auspices aussi défavorables. Car avant même d’écouter la moindre note, on sait déjà que :
- les musiciens sont alcoolos, drogués, et se foutent régulièrement sur la gueule entre eux tant ils se détestent.
- « Strangers in the night » (clin d’œil à Sinatra) est présenté sous le visuel le plus moche jamais créé par Hypgnosis, les graphistes auteurs des pochettes précédentes du groupe et des visuels de Pink Floyd dans les 70’s.
Et pourtant la mayonnaise prend. Les haines réciproques qui minent le groupe entraînent une tension et une envie de se surpasser, ingrédients indispensables pour une bonne prestation live.
Et surtout, il ne faut pas oublier que le répertoire de UFO est un des tout meilleurs du hard anglais des années 70, qui comptaient quand même de sacrés clients dans le domaine. Les talents d’auteur de Mogg, Way, et Schenker, les superbes parties de guitare du même Schenker (avant, que complètement carbonisé par les poudres blanches, il s’en aille poursuivre de son côté une carrière totalement erratique), l’indiscutable qualité intrinsèque de chansons comme « Doctor, doctor », « Lights out », « Love to love », « Too hot to handle », « Rock bottom », et le final explosif (« Shoot, shoot ») contribuent à faire de ce Cd un des sommets (le sommet ?) de la carrière de UFO, le plus pop des groupes hard anglais des seventies (ou le plus hard des groupes pop, c’est vous qui voyez).

WILD FLAG - WILD FLAG (2012)


Girl power (pop)

Wild Flag, on peut voir çà comme une sorte de super groupe féminin d’indie rock énervé. Dont les deux filles les plus connues (Carrie Brownstein et Janet Weiss) étaient les deux tiers du défunt band Sleater-Kinney. Dont j’ai pas grand-chose à dire, j’ai qu’un seul de leurs disques, « Dig me out », acheté à cause d’une pochette pastichant celle de « Kontroversy » des Kinks, et que j’ai même pas du écouter… Sleater-Kinney, c’était l’époque des riot grrls, loin en matière de notoriété derrière L7 ou Hole … Une version féminine, féministe et militante du grunge, ou quelque chose comme ça…
Et donc, après la proverbiale traversée du désert, retour aux affaires sous forme d’un quatuor dont le nom est paraît-il inspiré du « Pink Flag » de Wire. Why not, même si ça saute pas aux oreilles. Les Wild Flag ne sont pas des poulettes de l’année, mais des quasi quadras bien entamées par des lustres de pratique rock’n’roll et des silhouettes qui commencent à s’envelopper, ce qui nous évite la farce de la hype éventée des nymphettes top glamour sans aucune consistance musicale. On ne retiendra d’elles que leur boucan, elles le savent, et ont donc mis le paquet sur cet aspect …
Même si de l’indie-rock à guitares en avant, on n’entend plus que cela depuis … toujours ou au moins bien longtemps. Rien de nouveau sous le soleil, si ce n’est une certaine chaleur, une forme d’entrain printanière et réjouissante. Un parti pris mélodique indéniable, c’est un disque « écrit », et non pas un vaste grabuge électrique fourre-tout trop souvent entendu, où, faute d'être capable de mieux, on préfère mettre de lourdes grattes saturées plutôt que des refrains qui se retiennent. Deux filles se partagent le micro, il y a plein de chœurs derrière, c’est bien foutu, soigneusement mis en place, très mélodique. Beaucoup plus proche de la power pop énervée de la fin des 70’s que d’un quelconque métal bourrin…
Et ce sont finalement les morceaux les plus rentre-dedans qui sonnent le plus quelconques (« Boom », « Short version », « Black tiles »). Par contre, quand l’accent est mis sur la mélodie et l’arrangement classieux, le résultat me semble bien meilleur, qu’il s’agisse de power pop énergique (« Romance » et son refrain pétillant), de titres d’obédience très 60’s (« Endless talk »), de facture très classic-rock (« Electric band »), d’embardées lo-fi très Pavement (« Something come over me »), ou d’une ballade mid-tempo psychédélique se concluant en bouillie sonique (« Glass tambourine ») …
Mention particulière pour mes deux morceaux préférés, « Future crimes », tournerie très pop à l’entêtant gimmick de claviers, qui pourrait faire un très radiophonique single ; et le titre le plus long et le plus ambitieux du disque, « Racehorse », avec son intro à la Breeders et son refrain en forme d’hymne.
« Wild Flag » est un disque réussi, qui cherche pas à en mettre plein la vue (on s’éternise pas, on trie, on garde que le meilleur, les quarante syndicales minutes et basta), le filles assurent, avec mention particulière à Janet Weiss, très impressionnante derrière ses fûts (non, non, elle se prend pas pour Phil Collins, mais c’est quand même autre chose que Moe Tucker ou Meg White). Evidemment, dans un marché phonographique en totale déconfiture, et dans un créneau dans lequel la concurrence foisonne, il faudra un sacré paquet de concours de circonstances pour que ce disque, qui à mon avis ne fera quand même pas partie des oeuvres marquantes de ce siècle, devienne un best-seller. En tout cas, il surnage de la mélasse fadasse qui semble de mise aujourd’hui, et c’est déjà bien …

THE KILLS - MIDNIGHT BOOM (2008)


Leur heure aurait pu venir ...

Alison Mosshart et Jamie Hince n’auront pas eu trop de bol avec les Kills. Barrés pendant longtemps par un autre duo basique (les White Stripes) pour la consécration internationale, c’est maintenant une autre paire de rustiques, les Black Keys, qui monopolisent l’attention. Pire, pour les Kills, ce sont des projets parallèles (les Dead Weather pour Alison avec Jack White, des White Stripes, le monde est décidément tout petit), ou la vie privée (Jamie Hince est devenu Mr. Kate Moss), qui les mettent sous les feux de l’actualité.
Car avec leurs surnoms improbables (VV et Hotel), ces deux-là avaient tout bon, tout compris. Que rien ne vaut une guitare avec un gros son pour booster un morceau. Que ça ne sert à rien de faire des Cds de plus d’une heure pour le plaisir de les remplir avec des titres que personne n’écoute. Que quand on s’inspire de trucs essentiels et cruciaux (le rock garage sixties, le Velvet, les Stooges, le MC5, le punk-rock, les Jesus & Mary Chain, ce genre de choses …) le résultat sera bon.
Et puis les Kills disposent d’un atout maître : la voix de la fille. Le même genre de voix que la Chrissie Hynde des Pretenders. Une voix érectrice, comme diraient les gens qui ont du vocabulaire et l’esprit déplacé.
Un seul regret pour moi : trop d’ « ambiances » et pas assez de titres construits. Car ces derniers (« URA Fever », « Tape Song », « What NY Used To Be ») sont exceptionnels et offrent de nouveaux horizons à un genre (le rock à guitares) que l’on croyait à bout de souffle et d’idées créatrices.
Un seul regret pour les fans du début : « Midnight Boom » n’est pas aussi austère, aussi sec, que leurs premiers, et ils le trouvent trop joli …
La poisse, on vous dit …



Des mêmes :
KILLS: Blood Pressures


SIMON & GARFUNKEL - BRIDGE OVER TROUBLED WATER (1970)


La fin d'une époque ...

Des deux, c'était toujours Garfunkel le premier à s'apercevoir qu'il pleuvait ...
Dernier disque des gendres idéaux de l’Amérique des 60’s, avant les carrières solo.
Ce « Bridge … » contient quatre énormes succès mondiaux : la chanson-titre, « El Condor Pasa », Cecilia », « The Boxer ». Quatre merveilles de folk-pop, qui ne laissent pas transparaître, tant l’osmose des voix est parfaite, que les deux hommes ne s’entendent plus. Comme d’habitude, c’est Paul Simon qui a écrit tous les titres, le grand rouquin ne servant qu’à l’accompagner au chant.
Ce disque paru en 1970 marque aussi la fin d’une époque. Les sixties et leurs gentilles utopies se terminent. Groupe référence de l’époque (mais aussi de Paul Simon), les Beatles n’existent officiellement plus. Et le propos musical dominant se durcit nettement (Led Zeppelin commence à vendre des disques par millions aux USA). Le tragique festival d’Altamont montrera bientôt que les insouciantes années 60 sont bel et bien terminées.
Alors même si ce « Bridge … » est un bon disque, comme tous les disques studio de Simon & Garfunkel, les amateurs du duo ne le citent pas souvent en référence, et lui préfèrent généralement « The Sounds of Silence ».

Des mêmes sur ce blog :
Parsley, Sage, Rosemary And Thyme

SHOULDERS - TRASHMAN SHOES (1992)


Pas à côté de leurs pompes ...

Les Shoulders sont un groupe d’Austin, Texas, auteurs de deux albums au début des années 90, et apparemment disparus depuis. Et c’est bien dommage, tant ce Cd laisse entrevoir de belles choses.
Déjà décalés par rapport à leur origine géographique (ils ne jouent pas de cette country fadasse dont Austin était devenue la capitale, au contraire, ils remettent la ville sur les planisphères rock’n’roll, et ce sont des groupes comme les Shoulders qui rendront possible l’énorme succès du festival S X SW, référence maintenant absolue des grands raouts d’indie rock au niveau planétaire), ils l’étaient aussi par la musique proposée : un rock teinté de soul et de rythm’n’blues (présence de cuivres sur quelques morceaux), que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher du Tom Waits des débuts, surtout à cause d’une voix (Michael Slattery) que l’on devine entretenue à la nicotine et aux alcools forts .
Leur musique très travaillée, composée maison sans aucune reprise est souvent festive, évoquant dans l’esprit celle des Pogues, mais on trouve aussi de magnifiques ballades (« Beckoning bells », « Fare thee well » ou encore le crépusculaire « I’ll take what’s left »).
Disque déglingué mais classe d’americana hors du temps à (re)découvrir.

DAVID BOWIE - THE MAN WHO SOLD THE WORLD (1970)


Bowie en 70, la grosse cote ...
Quand sort ce disque, Bowie n’est rien, ou au mieux pas grand-chose, et pas grand monde à l’écoute de cette rondelle n’a du se hasarder à lui prédire la carrière que l’on sait. Un lustre qu’il traîne dans le Swingin’ London, avec ses groupes mod ou garage (King Bees, Lower Third), un premier disque solo chez Deram … De cette époque, juste une paire de titres à sauver (« London boys » et « Liza Jane ») à condition d’être de bonne humeur, et tout un tas d’horreurs dont par charité chrétienne on ne dira rien. Et puis, en 1968, coup de bol, Bowie en sortant d’un ciné fortement impressionné par le film qu’il vient de voir, « 2001 Odyssée de l’Espace » de Kubrick, compose l’ébauche de ce qui deviendra le titre « Space Oddity ». Sorti en single en 69, bénéficiant de l’effet Armstrong et Aldrin marchant sur la Lune, « Space Oddity » deviendra un hit. Mérité, c’est le premier grand Bowie classic. Las, il va se retrouver perdu sur un album du même nom très moche, englué de babacooleries folky atroces, tout juste bonnes à ravir un fan de Devendra Banhart.
La "Drag cover" censurée
« The man who sold the world », l’année suivante est différent. Meilleur, certes, et de loin, mais sûrement pas un des albums de Bowie « qui compte ». D’ailleurs l’Histoire n’en a d’abord retenu que sa triple pochette, dont la scandaleuse (pour l’époque s’entend) « drag cover ». Il faudra attendre plus de vingt ans et la reprise par un certain Kurt Cobain et son groupe sur leur « Unplugged in New York City » du morceau-titre, pour qu’on se souvienne que oui, finalement, ce « The man who sold the world » était un bon morceau. Et même le meilleur et d’assez loin de ce disque…
Pourtant, le casting est pas mal, avec Visconti à la basse et à la production, Woodmansey à la batterie, Ronson à la gratte, et Ken Scott qui assiste Visconti … Soit le producteur de « Ziggy Stardust » et la moitié des Spiders from Mars … Ronson est énorme sur ce disque. Il sauve presque par quelques solos dans un final rageur « The width of a circle », interminable titre d’ouverture qui fait penser à du Grateful Dead repris par Black Sabbath (ou le contraire, peut-être bien …), et enjolive heureusement « Black country rock » (titre hésitant entre heavy-rock et glam-rock) et « Runnin gun blues » sur lequel le caméléon vocal Bowie ne fait pas à mon avis un choix très heureux, trop dans les aigus, ce qui convient assez mal à un machin bluesy, par ailleurs quelconque…
La pochette US
Mais Ronson a beau se multiplier, il lui faut faire face à un Tony Visconti qui a profité de son rôle de producteur pour se faire mousser et mettre sa basse inconsidérément en avant dans le mix, et surtout à son patron, Bowie ne laissant guère de compositions inoubliables sur ce disque. Au contraire, il part sans trop de directions dans ce projet, multipliant balourdises (« All the madmen », c’est du fuckin’ prog qui veut pas dire son nom), ou citations par trop évidentes (« Saviour machine », assez intéressant cependant, n’est qu’une imitation de Scott Walker, modèle pas seulement vocal de Bowie). Et comme il le fera toujours par la suite, Bowie jette dans ses disques des passerelles vers de possibles futurs. Ici, c’est le dernier titre, totalement hors contexte par rapport au reste, qui retient l’attention. Il s’appelle « The Supermen », et par son titre, son thème, sa mise en place sonore et vocale, préfigure « Ziggy Stardust » et les dérives idéologiques du Thin White Duke …
« The man who sold the world », logiquement, ne fera parler de lui que par sa pochette … Bowie a toujours vite appris et retenu les leçons. Le disque suivant opèrera un virage radical. Il s’agit de  « Hunky Dory » …

Du même sur ce blog :

BOB DYLAN - THE FREEWHEELIN' BOB DYLAN (1963)


Le troubadour de Greenwich Village ...

« The Freewheelin’ Bob Dylan » est le second disque de Dylan, et le premier à comporter quelques-uns de ses titres d’anthologie.  
En 1963, Dylan est un inconnu, dont la réputation peine à dépasser les limites des clubs de folk de Greenwich Village. Un type que sa maison de disques commence même à trouver embarrassant, tant il semble d’une rigidité artistique inaltérable. Dylan est un puriste et ça s’entend. Une gratte sèche, quelques notes d’harmonica, des mélodies qu’il faut prendre la peine de bien chercher, et une voix … comment dire … pénible, à la limite de la justesse (et même par moments pas juste du tout comme sur « Down the highway »), et d’un timbre agressif pour l’oreille, autant par sa tessiture que par la façon de chanter du Zim …
Dylan, comme tout les plus grands du rock, est une éponge et un vampire. Qui absorbe tout un tas de données culturelles, et n’hésite à imiter, copier, plagier (rayer la mention inutile) tout ce qui passe à sa portée. Il a découvert la Beat Generation par la lecture, notamment une biographie de Woody Guthrie. Apprenant que ce dernier est hospitalisé à New York, il va aller y vivre. Lors de ses visites à celui qu’il perçoit comme son héros, il va rencontrer d’autres de ses amis, comme le chanteur Ramblin’ Jack Elliott, qu’il va littéralement cloner dans ses chansons et la façon de les interpréter. Dans les clubs de Greenwich Village, Dylan rencontrera sa première muse, Suze Rotolo (c’est elle à son bras sur la pochette), dont les goûts avisés et les conseils en matière littéraire lui seront immensément bénéfiques…
The Freewheelin' Bob Dylan
C’est un Dylan qui en pleine évolution, qui s’ouvre sur le monde et ses révolutions qui se cache derrière ce « Frewheelin’ … ». Certes un disque quelque peu en roue libre, Dylan passe d’une chanson à l’autre du coq à l’âne, pas de thème majeur ou récurent … Mais déjà quelques sujets de réflexion qui vont revenir tout du long de sa carrière.
Les femmes, d’abord, avec qui Dylan aura toujours des relations pour le moins compliquées, entre mariages,  enfants tenus secrets, divorces et remariages … Sur ce disque, elles sont là, en filigrane ou directement les inspiratrices de chansons, comme l’idéalisée « Girl from the North country ». Mais surtout, à cette époque-là, Bob Dylan est un citoyen du monde, qui s’interroge sur son évolution, et donne accessoirement dans le commentaire social ou politique au sens large. Ces préoccupations sont l’épine dorsale de ce disque, qu’il s’agisse de morceaux devenus cultes comme « Blowin’ in the wind », « Masters of war », « Don’t think twice », « A hard rain’s … » (sur la « crise » des missiles de Cuba), ou les moins connues « Talkin’ World War III blues », « I shall be free » et sa séquence de name-dropping.
Il y a aussi quelques titres dont les historiens du Zim nous ont appris qu’il s’agissait d’impros (par définition bâclées, mais Dylan s’en foutait, il n’avait rien à perdre, personne le connaissait), comme « Bob Dylan’s blues » ou « Talkin World … ». Et puis, et surtout, quelques légers dérapages et sorties de route qui prouvaient dès cette époque-là Dylan ne se cantonnerait pas, ou pas seulement, à chanter du folk pur et dur. On trouve une échappée vers le blues roots (« Down on the highway »), un genre auquel il se consacre quasi exclusivement depuis plus de dix ans sur disque, et surtout un titre « Honey, just allow me one more chance », avec, perdu au fin fond du mix, un accompagnement électrique (guitare, basse, batterie, piano). Ce titre-là, Dylan a du batailler pour qu’il figure sur le disque, son « chef de produit » à la Columbia, John Hammond, pas n’importe qui à l’époque, n’en voulait pas. Bon, ce n’est pas encore «Like a rolling stone » ou « Highway 61 revisited », mais ça montre que Dylan ne va pas rester éternellement un baladin folk.
Les temps vont bientôt changer …
« The Freewheelin’ Bob Dylan » est souvent considéré comme le meilleur de la période strictement acoustique de Dylan. C'est quand même un disque à conseiller et à réserver à ceux qui aiment bien les ambiances monotones dépouillées, ou qui sont bilingues. Voire les deux, ce qui, maintenant comme à l’époque, doit pas faire foule …

Du même sur ce blog :
Christmas In The Heart

AIR - MOON SAFARI (1998)


Si Versailles m'était conté ...

Air, c’est l’histoire maintes fois répétée de la citrouille qui se transforme en carrosse. Ici, celle de deux potes (Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel) qui font de la musique ensemble depuis toujours, au gré de formations disparues sans laisser de traces (Orange notamment, avec Xavier Jamaux, futur Phoenix et Alex Gopher, futur lui-même ). Et à un moment, plutôt que de faire comme à peu près tout le monde, copier ce qui est dans l’air du temps, Dunckel et Godin vont partir tête baissée dans leur truc, sans trop se soucier du résultat et des conséquences …
Leur truc à eux, entre mille autres choses, c’est un disque, le « Melody Nelson » de Serge Gainsbourg. Que de leur aveu ils trouvent tellement parfait qu’ils se forcent à ne l’écouter qu’une fois par an, pour ne pas galvauder sa magie … Et plutôt que d’essayer de le « refaire » (les Air n’ont jamais eu la grosse tête), ils vont s’en inspirer, partir dans de savants assemblages de cordes éthérées (des vraies, enregistrées dans les studios Abbey Road, pas des synthétiques sorties d’un Moog), de nappes mélodiques, de voix susurrées et (ou) vocoderisées. D’autres influences pointent sur « Moon Safari », leur premier disque, celle du Floyd des longues plages oniriques (rien que le titre du Cd), cet art de la chanson mélodique très arrangée copyright Hal David et Burt Baccharah …
Dunckel et Godin dos au mur, à l'abri des courants d'air ...
Les circonstances de l’enregistrement (les deux entendent garder la maîtrise totale du projet, pas question d’élargir le « groupe », même si un bassiste, un batteur et une chanteuse participent sur certains titres), feront que ce disque comportera beaucoup de synthés, et rattachera Air à la mouvance électronique. Même si la musique produite par Air n’a que peu à voir avec les expérimentations et bidouillages sonores (forcément, la plupart des joueurs de disquettes de la concurrence n’ont jamais su écrire une chanson) de rigueur dans la mouvance electro de l’époque. Leur origine (Versailles) fera bêtement jaser (« ouah, les bourges des beaux quartiers, …sont pas crédibles, … c’est que de la muzak d’ascenseur … », ce genre de niaiseries répandues par leurs détracteurs).
Et comme les Air ont pas l’habitude de bâcler le boulot, et qu’ils recherchent le beau plutôt que le joli, quand tout s’emmanche bien ça donne de superbes titres qui ne subissent pas des ans l’irréparable outrage. Ce « Moon Safari » est hors du temps et des modes, et donc forcément ne se démode pas. Des choses comme « La femme d’argent », entre ambient et new age qui ouvre le disque avec force Minimoog est resté une des pierres angulaires de leurs concerts (car oui, les Air ne sont pas ridicules sur scène, l’exercice live ne leur fait pas peur) ; « Talisman » est juste très beau avec ses arrangements de cordes, « Ce matin-là » pareil, avec son improbable tuba. Ce qui est frappant, c’est que les titres soient chantés ou pas, on a toujours l’impression d’avoir à faire à des chansons, par leurs formats, leurs structures, leurs mélodies toujours soignées et mises en avant. Il suffit d’une voix susurrée (« New star in the sky ») ou trafiquée (Sexy boy », gros hit) pour qu’un titre décolle. Et parfois même, ces chansons n’avancent plus masquées, et s’imposent comme ces rengaines qui enluminaient les lointaines sixties (« All I need », « You make it easy », « Kelly watch the stars », cette dernière étant la seule du disque dont les arrangements font un peu vieillot, malgré une mélodie first class) …
Ce « Moon Safari » sur lequel pas grand-monde aurait mis un kopeck est devenu assez vite une référence que s’est accaparée d’abord la mouvance électronique, avant de gagner le domaine tout public. Et plus que le succès populaire, les Air sont devenus les figures de proue d’un mouvement musical, bêtement baptisé « french touch », englobant des gens comme Daft Punk ou Laurent Garnier, et bénéficiant d’une reconnaissance, d’une notoriété, et de ventes conséquentes au niveau mondial, choses inédites jusque-là pour des productions musicales françaises …


ZOO - ZOO (1969)


Comme un air de famille ...

La filiation est clairement évidente et d’ailleurs revendiquée, Zoo a pour modèles Blood Sweat & Tears et Chicago, et surtout les premiers. Petite précision à l’usage des non encore grabataires, Zoo est un groupe français.
Famille évidemment nombreuse vu les influences (les Zoo sont neuf), lorsque la fanfare se forme, ses membres sont déjà des musiciens accomplis, ayant sévi dans des groupes ou hanté les studios de l’époque. Leaders et figures de proue, le chanteur Joel Daydé, le bassiste Michel Hervé et le guitariste Pierre Fanen, autant de noms que le fan de Lady Gaga ne connaît pas, mais que quelques vénérables ancêtres chenus doivent encore avoir à l’esprit.
Ce disque éponyme est tout à fait représentatif d’un genre aujourd’hui totalement désuet, cet amalgame entre toutes les musiques « de jeunes » de l’époque. Se mélangent, et s’entrechoquent parfois, mélodies pop, tristesses blues, langueurs soul, énergie rock, transpiration rythm’n’blues, une pincée de fuckin’ jazz… Bref, tout ce qui était matière à se disputer avec ses parents en cette fin des années 60. Mais aussi et surtout une fascination pour la technique instrumentale, avec le funeste prog-rock en gestation. Encore plus frappant en ce qui concerne les groupes français de l’époque, persuadés qu’une reconnaissance et qu’une crédibilité musicale dans le rock au sens large ne pouvait passer que par une démonstration technique alambiquée et grandiloquente. Les Zoo maîtrisent leur sujet et ne perdent pas une occasion de le montrer.
Ce qui donne lieu à quelques choix pour le moins curieux. Comment, lorsque l’on a dans ses rangs un aussi bon chanteur que Daydé, à la voix grave très soul, aligner sur un disque la moitié d’instrumentaux, mettant en avant un violon imbécile ou des cuivres redondants ? L’époque y est sans doute pour beaucoup, mais ce genre de choix artistique délibéré est pour le moins curieux, et les conséquences ne se feront guère attendre, Daydé et le guitariste Fanen quitteront le groupe après ce disque.
Les meilleurs titres de ce « Zoo » sont d’assez loin ceux qui sont chantés, le rythm’n’blues jazzy de « If you lose your woman », l’alerte « Memphis train » repris à Rufus Thomas, le très Ray Charles « You sure drive … ». Les instrumentaux, forcément très datés, s’empêtrent dans la copie de BS & T (« Ramsès »), les pénibles jams violoneuses (« Rythm and Boss »), ou bluesy (« Bluezoo », comme son nom l’indique). Deux morceaux sont un peu à part, « Un samedi soir à Carnouet », ambiance bal à papa psychédélique ayant plus à voir avec Chicago (le groupe) qu’avec les Cotes d’Armor ; également le dernier, « Mammouth », avec sa rythmique très lancinante qui fait penser à ce que produira plus tard Magma …
Les départs de Daydé et Fanen porteront un trop rude coup à Zoo pour qu’il s’en remette. Un autre disque verra le jour, avec beaucoup moins de retentissement que ce premier qui avait quand même réussi à marquer les esprits. Quelques musiciens accompagneront Léo Ferraille momentanément en quête d’un virage « électrique », et quelques survivants remonteront le groupe sous le nom de Zoo Tribute en 2010 avec le succès que l’on imagine …

APHEX TWIN - SELECTED AMBIENT WORKS 1985 - 1992 (1992)


Un génie, on vous dit ...

Aphex qui ? Aphex Twin, voyons … me dites pas que vous connaissez pas, parce que là ça va chier. Parce que moi je connais plein de gens (enfin, au moins un ou deux) qui pourraient vous parler pendant des heures de ce que ce type, Richard D. James, plus connu sous le nom d’Aphex Twin entre autres sobriquets, a apporté à la musique. Enfin, à la musique électronique pour être précis … Hey, partez pas tous !!
Il paraît que James est un génie. Si les dates qui sont annoncées sur cette compile sont exactes, il avait quatorze ans en 1985 quand il a commencé à enregistrer des morceaux tout seul comme un grand. Le Mozart des circuits imprimés, en quelque sorte … D’entrée, au bout de quelques minutes, surgit une question angoissante : « mais quand est-ce qu’il chante ? ». A la fin du disque, au bout d’une heure et quart, arrive la réponse : « jamais ». Bon, peut-être qu’il chante comme une casserole et que contrairement à d’autres qui font des skeuds qui se vendent, il sait se taire. Ou alors il est muet. Après tout, Beethoven était aussi un génie de la musique et il était sourd, et y’a des fois que je me dis qu’il avait bien de la chance, Beethoven … Donc Aphex Twin fait des disques instrumentaux, et son instrument de prédilection, c’est la disquette. Personnellement, j’ai rien contre. J’ai rien pour non plus, notez bien …
Aphex Twin au grand complet : kessta, Lester, t'aimes pas mes disques ?
Même s’il me semble que dans ce cas précis, des types comme Kraftwerk faisaient au siècle dernier des choses beaucoup plus intéressantes sur leurs disques ratés  (« Computer world », ce genre de choses), que D. James sur ses chef-d’œuvres. Parce que là, franchement, y’a des trucs … tenez, « Green calx » par exemple … c’est quoi, là ? il a enregistré une machine à laver en mode essorage pendant qu’il jouait à « Space Invaders », et dans ce cas, faut être juste et pas en rajouter (pas mon genre, hein, vous me connaissez, rigueur et objectivité avant tout), mais c’est complètement crétin … Il y a aussi quelques trucs pas très originaux, « Schottkey 7th Path » (‘tain, c’est quoi ces titres ?), je sais pas ce qu’il y a lieu d’en penser, mais je serais Mike Oldfield, je prendrai rendez-vous avec mon avocat, parce que, ça ressemble quand même à « Tubular bells » … Enfin, bon, ce que j’en dis … Et puis, il ont appelé ce bazar IDM (« intelligent dance music », je précise pour les fans de Canned Heat, s’il en reste). C’est sûr qu’il faut être vachement intelligent pour danser là-dessus, désolé, j’y arrive pas … j’ai pas essayé non plus, je danse que dans ma tête, moi …
Arrivé à ce stade, les plus perspicaces auront remarqué que ce skeud ne bénéficie pas de l’infâmant libellé « poubelle direct ». C’est quand même intéressant de voir l’évolution de ce type, et par extension de l’électro-machin-bidule, des balbutiements de la chose aux débuts des années 90. Même s’il n’y a aucune date qui permette d’affirmer que la compile est livrée dans l’ordre chronologique, on sent une progression, et pas seulement liée à l’augmentation des moyens mis en œuvre (davantage de matos, de logiciels, d’émulateurs, de boîtes à rythme, de samplers, …). D. James apprend à jouer et à composer, on passe des ridicules claviers à un doigt à la Guetta (« Ageispolis), à plein de nappes construites, travaillées, réfléchies, et ce n’est pas un hasard si pour moi le meilleur titre est d’assez loin le dernier, « Actium ».
Sinon, on part de l’ « ambient » (qui n’a d’ailleurs rien à voir avec ce que faisait Brian Eno qui a inventé le terme) au début du disque avec ses titres secs et austères, pour finir par des tempos qui s’accélèrent, et des choses qui rappellent ce qu’on l’on entendait dans les premières free parties, quand des types tout d’orange vêtus se destroyaient les tympans dans la gadoue en gobant des pilules de toutes les couleurs … Et il faut reconnaître que la musique électronique a plus évolué en dix ans que le rock et toutes ses chapelles en cinquante. Il semblerait aussi que là, en matière de musiques électroniques, on ait fait le tour aussi depuis longtemps …
Ça va, j’ai pas été trop méchant ?

CHUCK BERRY - HIS BEST VOLUME I (1997)


Guitar Man
L’homme sans lequel Keith Richards et tant d’autres auraient peut-être appris le violoncelle ou le kazoo à la place de la guitare. Et qu’on le veuille ou pas, un des trois incontournables des 50’s, avec le Petit Richard et le gros Elvis. Auteur de « Johnny B. Goode », un des trois morceaux que tout type qui a tenu une guitare dans les doigts a essayé de jouer, au même titre que « Jeux interdits » ou « Smoke on the water ».
Quand tout a commencé à s’emmancher, Chuck Berry était déjà un ancêtre, un quasi trentenaire (il est né en 1926), musicien inconnu végétant sur de petits labels et accompagnant d'autres inconnus qui voulaient bien de lui, essayant vainement de se faire remarquer des frères Chess, patrons du mythique label de blues de Chicago.
Trop vieux, et pas au bon endroit au bon moment (c’est à des milliers de kilomètres de là, dans le petit studio de Sam Philips à Nashville, que la révolution est en marche), Chuck Berry n’a aucune chance. Mais comme tant d’autres, c’est en rompant tous les codes traditionnels, en expérimentant en dépit du bon sens, qu’il va trouver.
Bill Black et Scotty Moore massacrant en studio un vieux standard rhythm’n’blues d’Arthur Crudup et Presley se joignant à eux par la voix a donné « That’s alright Mama ». Chuck Berry qui a évidemment entendu ce titre, va aller à l’opposé. Lui, le Noir, part d’une structure musicale bien blanche (une trame country), accélère au-delà du raisonnable le tempo, le saupoudre de blues. Ce titre (« Ida Red »), Berry va le faire écouter à Leonard Chess, qui lui fait modifier le tempo, rajouter une guitare électrique et le rebaptise « Maybellene ». Contre la publication en single,  Berry doit abandonner deux tiers des royalties à un certain Fratto, homme de paille des frères Chess, et à l’influent DJ Alan Freed, qui bien entendu n’ont en rien participé à l’écriture. « Maybellene » sera un bon succès, mais Berry gardera une rancune tenace à l’égard du music-business qui l’a spolié pour la première (et pas la dernière) fois, et une méfiance paranoïaque envers tous ceux qui y gravitent. Ajoutez une avarice légendaire, et vous avez avec Chuck Berry la hantise des organisateurs de concert pendant des décennies …

Evidemment, si l’on compare avec ses « classiques » comme « Sweet little sixteen », « Carol », « Johnny B. Goode », … ce « Maybellene » n’est encore qu’une ébauche. Berry est un bosseur, et un malin. Il va jouer légèrement sur le tempo, et surtout travailler  comme un forcené sur sa Gibson, avant de petit à petit mettre en place sa patte, ce style inimitable que tout le monde va dès lors s’efforcer de copier. Première étape avec « Brown eyed handsome man », franche attaque de guitare in intro, et le rythme « Chuck Berry » déposé. Confirmation avec « Roll over Beethoven », premier immense classique . Nouvelle étape avec « Too much monkey busines », et cette fois, c’est la mélodie irrésistible qui arrive. Dernière évolution avec « Oh baby doll », pas son plus connu, mais qui oriente la musique de Chuck Berry vers des boogies très rythmés, un filon qu’exploiteront ensuite tous les « Sweet little sixteen », « Johnny B. Goode », « Carol » …
Chuck Berry et un imitateur ... Gaffe à ton pif, Angus !
Comme d’autres (Lewis, Presley), Chuck Berry cultivera, et pas seulement dans ses textes, une attirance pour les (trop) jeunes filles, et une certaine forme d’exubérance joyeuse, notamment sur scène. Berry sera, pour l’époque s’entend, très spectaculaire, mettant au point pas de danse saugrenus (sa fameuse « duck walk »), et gesticulations diverses. A l’image des bluesmen, toutes ses gesticulations scéniques sont surtout là pour masquer son jeu de guitare et éviter que des gens dans le public puissent bien le visualiser pour ensuite le copier. Chuck Berry sait qu’il a inventé quelque chose et gardera le plus longtemps possible jalousement tous ses « secrets ». A ce sujet l’anecdote de sa première rencontre avec Keith Richards est révélatrice. Le guitariste des Stones, qui s’inspirait beaucoup de son jeu, a tenu à le saluer lorsqu’ils étaient à la même affiche d’une émission télé. A la main tendue de Richards, Berry lui répondra par une bonne droite dans le pif, l’accusant de n’être qu’un putain de voleur …
Ce « His Best Vol I » est une excellente compilation chronologique, l’essentiel de ses classiques et en tout cas les plus connus des années 50 sont là (manque juste le tardif « You never can tell », clippé par Tarantino dans « Pulp fiction »). Idéal pour une première approche …